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Lutte de classe, luttes LGBTI : même combat

Lou est membre de l’Union Syndicale Sud Solidaires. A l’occasion des rencontres des syndicalistes autogestionnaires et libertaires qui se sont tenues à Montreuil en mai (lire aussi le numéro 59 de (Re)bonds), elle s’est exprimée sur le nécessaire rapprochement entre lutte des classes et luttes LGBTI (1). Dans cet article, elle revient sur cette problématique.


Les mobilisations LGBTI sont de plus en plus médiatisées et massives mais, à mesure que le temps passe, donner un caractère revendicatif, comme parler des liens entre les LGBTIphobies et le système capitaliste, devient de plus en plus complexe.

Si la question LGBTI et la question de classe (2) peuvent apparaître de prime abord comme n’ayant aucun lien, on observe que face à la violence capitaliste comme face à l’oppression LGBTIphobe, des résistances prennent forment et se rejoignent. Ce fut le cas en 1984-1985 lors de la grande grève des mineurs face à la délocalisation des mines, où les « LGSM » (3), des comités de soutien homosexuels se sont mis en place pour soutenir les grévistes. Les groupes LGSM se sont fondés sur le constat du parallèle entre l’oppression capitaliste subie par les mineurs et celle homophobe subie par les lesbiennes et les gays. Ces violences se manifestaient notamment à travers une campagne permanente de dénigrement médiatique, ainsi qu’une forte répression policière. Le témoignage de leur solidarité entraîna de forts liens entre les deux mouvements, notamment avec l’apparition des syndicats de mineurs lors des marches des fiertés ou avec la défense syndicale et politique de l’égalité des droits.

Cet exemple historique devrait nous servir à l’heure où (dans le contexte européen) les luttes sont éclatées en raison des divisions alimentées par le libéralisme. Le constat que nous pouvons dresser des liens entre le mouvement LGBTI et le syndicalisme de lutte est le suivant : d’une part, des marches des fiertés massives mais qui ont perdu de leur aspect revendicatif pour se concentrer sur une ambiance festive dépolitisée et donc, aisément récupérable par les pouvoirs privés. D’autre part, des organisations syndicales de lutte qui, si elles fournissent un travail d’analyse, de revendication et de formation de grande qualité concernant la lutte contre les LGBTIphobies dans le monde du travail et des études, voient trop peu souvent ce matériel être utilisé par les syndicats locaux et les Unions départementales.

Pourtant, un échange sur les modes d’actions et de pression permettant d’établir un rapport de force face aux oppresseurs, ainsi que l’établissement d’une convergence entre syndicats et mouvement LGBTI s’avèrent aujourd’hui être une des priorités pour gagner des batailles et défendre des acquis, que ce soit pour lutter contre les discriminations ou contre le recul social.

Il ne faut pas sombrer dans le piège qui est de concevoir le mouvement syndical et le mouvement LGBTI comme cloisonnés, séparés, autant historiquement qu’en ce qui concerne les groupes sociaux qui les composent. Ce préjugé est à abattre si l’on veut travailler à des ripostes efficaces face aux dominations comme à la transformation de la société. En effet, il s’ancre dans l’idée que la classe ouvrière et les LGBTI sont deux entités séparées, ce qui est complètent faux. Les LGBTI sont en immense majorité des travailleurs et des travailleuses, et ils et elles sont dans tous les secteurs de la production : du médico-social à la logistique en passant par l’éducation et la métallurgie.

 

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De ce fait découle une réalité essentielle à saisir si l’on veut comprendre pourquoi la lutte LGBTI et la lutte de classe sont deux éléments reliés : lutter pour les droits de l’entièreté des travailleurs et travailleuses, c’est lutter pour les droits LGBTI.
Par exemple : comment peut-on revendiquer une prise en charge gratuite des transitions ainsi qu’une formation des personnels à ces enjeux, si l’hôpital public est en proie à des attaques depuis des années par le patronat et ses gouvernements ? La revendication d’un investissement massif pour des services publics hospitaliers de qualité semblerait alors bénéficier à toute notre classe tout en bénéficiant plus précisément aux LGBTI.
De même, concernant la revendication d’une sécurité sociale du logement garantissant un toit pour toutes et tous. Elle serait plus particulièrement utile pour combattre les discriminations homophobes qu’un grand nombre de couples homosexuels vivent lors de la recherche de logements.
Et quand on sait qu’un grand nombre de violences LGBTIphobes ont lieu au sein de la cellule familiale, la revendication d’un salaire étudiant formulée par les organisations syndicales étudiantes de lutte paraît bénéficier au plus grand nombre, tout en servant plus particulièrement l’intérêt des étudiant·es LGBTI qui vivraient des violences familiales, et qui pourraient ainsi plus facilement prendre leur indépendance et fuir ces dernières.

Ces revendications doivent évidemment se coupler avec celles, plus spécifiques, concernant directement les LGBTI (mariage et PMA pour toutes et tous…). Mais le combat social et syndical pour l’ensemble de notre classe doit urgemment être réinvesti par les militant·es LGBTI, de même que les revendications concernant le monde du travail. L’outil syndical doit également être utilisé pour lutter contre les LGBTIphobies au sein des entreprises, collectivités et centres de formation face aux directions ou aux collègues. Une dynamique de formation doit également être mise en place et ce, toujours en lien avec les structures d’éducation et d’accompagnement sur les questions de genre et de sexualité, comme au planning familial ou les associations de luttes contre le VIH.

Une autre tâche incombant aux organisations syndicales serait leur (ré)apparition dans les marches des fiertés d’où elles ont bien souvent été chassées, pour y rapporter un discours de classe mais aussi défendre des revendications spécifiques LGBTI avec combativité, toujours en lien avec les organisations LGBTI de luttes. Idem concernant les apparitions dans les marches lesbiennes et à l’existrans-inter, tout cela évidemment avec un travail de fond concernant l’action syndicale contre les LGBTIphobies que nous avons évoquée plus haut.

Nous l’avons vu, la division « luttes sociales »/ luttes sociétales » est obsolète. Il suffit de voir qu’à chaque fois qu’une attaque est faite à notre classe (précarisation, réformes antisociales, casse du code du travail…) ce sont les femmes, les habitant·es des quartiers populaires, les non blanc·hes et les LGBTI qui sont en première ligne. Donc, quand le mouvement syndical de lutte se met en ordre de bataille contre ces attaques, c’est aussi avec un prisme LGBTI et contre toutes les dominations !

Les syndicalistes de lutte et les militant·es LGBTI ont des divisions à combattre et des convergences à construire, face à nos ennemis communs : le patronat, son gouvernement et l’extrême droite. C’est en unifiant nos forces que l’on parviendra à mener des luttes victorieuses ; c’est en comprenant ce qui nous unit que l’on pourra transformer la société et faire comprendre que ce soit pour les cheminots, le personnel médical, les homos, les trans et les intersexes : il n’y a pas de lobby, il n’y a pas de privilèges ; il n’y a que des combattantes et des combattants !

Lou, syndicaliste à l’Union Syndicale Solidaires

(1) LGBTI : Lesbiennes, Gays, Bisexuel·les, Trans, Intersexes.
(2) Par « classe », j’entends « classe sociale », soit l’appartenance au « prolétariat » la classe des travailleurs et travailleuses (y compris en formation ou privé·es d’emploi, du public comme du privé) ou à « la bourgeoisie », la classe des propriétaires des moyens de produire (patrons, grands actionnaires…)
(3) LGSM : Lesbians and Gays support the miners, soit « lesbiennes et gays en soutien aux mineurs ».