D’un côté, des organisations interprofessionnelles qui promeuvent la consommation de viande. De l’autre, une association qui entend changer le regard porté sur les animaux. Leur point commun ? Elles développent des campagnes à destination des plus jeunes, en proposant des outils pédagogiques à leurs enseignant·es. Mais tandis qu’INTERBEV défend des intérêts économiques, L214 milite pour une transformation de nos rapports aux autres êtres vivants. Le message éducatif est forcément bien différent...
Charlotte Maignan, chargée d'éducation au sein de L214, l’assure : l'association ne construit pas ses propositions en opposition aux discours des lobbies de la viande. Dans les messages adressés aux plus jeunes, pas d’injonction directe à stopper sa consommation de viande, mais des informations démontrant que les animaux sont des êtres sensibles qui méritent considération et respect.
L214 est une association de défense des animaux, plus particulièrement ceux utilisés comme ressources alimentaires. Créée en 2008, son nom fait référence à l’article L 214-1 du Code rural (1) qui, en 1976, reconnut pour la première fois les animaux comme des êtres sensibles.
Elle regroupe aujourd’hui 50.000 membres, 2.500 bénévoles et 75 salarié·es. Ensemble, iels militent pour placer la question animale dans le débat public, pour faire reculer les pratiques cruelles (dans les élevages, le transport des animaux et l’abattage) et pour promouvoir l’alimentation végétale.
Depuis sa création, L214 a mené une centaine d’enquêtes, souvent filmées, révélant les conditions épouvantables dans lesquelles « vivent » les animaux d’élevage aujourd’hui encore en France.
Elle-même mène des actions de lobbying, notamment pour encourager les élu·es à prendre position et pour transformer les lois.
Des outils variés et accessibles à tous·tes
En 2017, elle a ouvert une campagne baptisée L214 Education. Charlotte Maignan explique : « Dès sa création, l’association a eu pour objectif de mettre en place des actions éducatives, mais elle a dû se structurer, grandir un peu, attendre d’avoir des salarié·es… » En 2017, Dominic Hofbauer, éducateur en éthique animale, a intégré l’association et, fort de son expérience à la Welfarm en Belgique (2), a permis de lancer la campagne. « Nous avons commencé par des animations sur notre site Internet et par le magazine Mon journal animal », précise Charlotte Maignan.
En cinq ans, les outils se sont développés : expositions, posters et livrets pédagogiques, vidéos, Centre de Documentation et d’Information (CDI) virtuel avec des références de livres jeunesse, romans, films qui abordent la question animale sous des angles originaux… « Tous ces outils sont gratuits, téléchargeables, reproductibles et libres de droit, précise Charlotte Maignan. Ils ont vraiment été conçus pour que tout le monde puisse les utiliser. »
L’association intervient également directement dans les classes. « Ce qui n’est pas évident car nous sommes une toute petite équipe de trois salarié·es. » Un test avec des bénévoles formé·es par l’association est en cours. Mais la campagne se dirige plutôt vers la multiplication d’activités à réaliser en autonomie par les enseignant·es.
Des animaux montrés sous un autre jour
Pour concevoir ses propositions, L214 Education s’est appuyée sur un conseil scientifique, composé de vétérinaires, d’enseignant·es, de philosophes, de juristes… « C’est important en termes de crédibilité et de légitimité, souligne Charlotte Maignan. Tout doit être vérifié et sourcé. Il est essentiel que des expert·es nous fassent des retours. »
Le but : « montrer les animaux sous un nouveau jour ». « Iels ont une vie propre et ressentent des émotions. Mieux les connaître et mieux les comprendre permet de mieux les respecter. »
Si la campagne suit la ligne générale de l’association, les méthodes sont bien différentes. « Nous ne montrons pas la réalité des élevages aux jeunes enfants ! Nous leur apportons des faits scientifiques et juridiques, pour éveiller leur curiosité et leur sensibilité, sur les animaux qu’iels ont dans leur assiette. C’est un angle peu abordé dans les écoles. On leur parle généralement plutôt d’animaux exotiques ou domestiques. »
Et, lorsqu’on évoque des vaches, cochons, chèvres et poulets, c’est plutôt sous l’angle de la chaîne alimentaire…
Les lobbies de la viande présents dans les classes
Les organisations interprofessionnelles de la viande ont tout intérêt à ce que ce discours soit maintenu. Depuis longtemps déjà, elles ont infiltré les établissements scolaires et les cantines. L’enjeu : convaincre que l’élevage industriel tel que les décrivent les militant·es écologistes n’existe pas et qu’il est nécessaire pour notre équilibre alimentaire de manger de la viande tous les jours. N’en déplaise aux spécialistes des maladies cardio-vasculaires (3).
Selon un rapport de Greenpeace France paru en janvier 2022 (4), la palme du lobby auprès des plus jeunes revient à INTERBEV, l’association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes. Des bancs de l’école à la sphère médicale, elle diffuse son message partout à coups de campagnes de publicité massives telles que des brochures distribuées jusque dans les salles d’attente avec des slogans du type « N’oubliez pas la viande ! » ou « Aimez la viande, mangez-en mieux ! »
Chaque année, de son propre aveu, INTERBEV dépense les deux tiers de son budget afin d’influencer le débat public et elle déclare 200.000 à 300.000 euros de dépenses ouvertement dédiées au lobbying (5).
Selon Greenpeace, depuis 2006 au moins, INTERBEV multiplie les outils pédagogiques sur l’élevage et l’alimentation à destination des enseignant·es et des élèves du primaire au lycée : animations en classe, visites de fermes, ressources ludiques avec des vidéos, des bandes dessinées… Des kits pour infirmier·es et médecins scolaires sont également distribués avec, toujours, le même message : la viande est indispensable à la croissance des adolescent·es.
Elle est surtout indispensable pour maintenir un secteur économique en berne qui doit faire face à une diminution de la consommation de viande en France, mais aussi dans le monde (6). Elle vise aussi à redorer le blason de la filière à chaque fois que des associations environnementales mettent à jour les conséquences écologiques désastreuses des élevages industriels.
Des faits qui ne sont, bien sûr, jamais évoqués dans les campagnes des organisations interprofessionnelles de la viande.
Greenpeace a accompagné son rapport de recommandations à destination du gouvernement (que les organisations professionnelles soient interdites dans les écoles ou qu’elles aient l’obligation de s’identifier clairement comme proposant des services d’intérêts privés) mais aussi à destination des enseignant·es : « refusez l’utilisation d’outils créés par les organisations professionnelles ou interprofessionnelles qui ne présentent qu’une vision enjolivée de l’élevage ». (4)
Le respect des animaux dans les programmes scolaires
Mais quelle est la position de l’Education nationale ? « Lorsque l’enseignant·e fait intervenir des personnes dans sa classe, il doit demander l’autorisation au chef d’établissement. Les cas où nous n’avons pas pu intervenir faute d’autorisations sont marginaux. »
Au contraire, les animations de L214 devraient être encouragées puisqu’en 2021, l’article 315-12 du Code de l’éducation (7) a fait entrer le respect des animaux dans les programmes scolaires. Avec cependant un petit bémol à la clé… « L’association Education Ethique Animale que nous connaissons bien avait travaillé auprès des parlementaires pour que l’article concerne tous les animaux, raconte Charlotte Maignan. Les lobbies sont passés par là et au final, l’article précise « animaux de compagnie »… Mais nous avons décidé de voir le verre à moitié plein ! On parle bien des animaux comme des êtres sensibles donc c’est une avancée, même si c’est à tout petits pas ! »
En 2019, le ministère de l’Education nationale avait envoyé un courrier aux recteur·ices, inspecteur·ices d’académies et directeur·ices d’établissements pour préciser que L214 n’avait pas d’agrément pour intervenir dans les écoles. « C’est vrai, reconnaît Charlotte Maignan. Nous ne l’avons jamais demandé. Ce que ne dit pas le courrier, c’est qu’il n’est pas obligatoire et que peu d’organisations qui interviennent dans les classes l’ont ! Dans les sous-titres, ça veut dire que nous ne sommes pas vraiment les bienvenu·es… Mais les enseignant·es sont heureusement libres et depuis 2019, le nombre de demandes pour des interventions ne cesse d’augmenter ! »
Pas question de stopper la campagne L214 Education, donc. « C’est fantastique d’aller dans les classes, ce sont toujours de bons moments, se réjouit Charlotte Maignan. Les enfants ont une empathie naturelle pour les animaux. Iels aiment qu’on parle d’eux comme des êtres qui ont des besoins et des émotions comme nous. C’est très important de continuer à activer tout ça. »
Fanny Lancelin
(1) « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. » https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000022200245/
(2) https://welfarm.fr/
(3) https://www.santemagazine.fr/alimentation/aliments-et-sante/viandes/viande-rouge-attention-danger-172150
(4) « Comment les lobbies de la viande nous manipulent » : https://cdn.greenpeace.fr/site/uploads/2022/01/synthese-rapport-lobbies-viande.pdf
(5) Les actions des groupes d’influence sont soumis à réglementation et leurs déclarations soumises au contrôle de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique : https://www.hatvp.fr/
(6) https://www.letemps.ch/economie/baisse-inedite-consommation-viande-monde
(7) https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000027682815
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Pour en savoir plus sur L214 Education et accéder aux outils pédagogiques proposés gratuitement : https://education.l214.com/