Elles sont venues d’Algérie, de Guinée ou de Syrie. Elles habitent aujourd’hui dans les quartiers populaires de Vierzon. Warda, Feyrouz, Radhia, Kadiatou et Najiba ont été filmées cet été par Leïla Saadna. Le résultat ? Un documentaire poétique et engagé qui parle de l’exil qu’ont vécu ces femmes, mais aussi de leur quotidien, de leurs engagements et de leurs rêves. Et qui cassent les a priori. A voir absolument !
Depuis plusieurs années déjà, Leïla Saadna travaille sur la question de l’exil. Dans son film « Dis-moi Djamila, si je meurs comment feras-tu ? »(2019), elle questionnait l’histoire de sa propre famille et notamment des femmes restant au pays lorsque les hommes partent vers l’ailleurs. Dans « Derrière la mer » (2017), elle donnait la parole à quatre personnages ayant migré vers l’Europe avant de revenir, libres ou contraints, dans leur pays.
D’origine algérienne, mais ayant grandi dans le Val-de-Marne, Leïla Saadna a fait le choix de s’installer à Alger il y a six ans. Elle a participé activement à l’Hirak, un mouvement de protestations contre le régime en place et son projet de se maintenir au pouvoir, s’exprimant par des manifestations tous les vendredis de 2019 à 2021. Pour documenter cette révolte, Leïla Saadna a pris de nombreuses photographies. En 2021, le FRAC (1) Centre-Val de Loire à Orléans l’a contactée afin qu’elle les expose, dans le cadre d’un projet baptisé « Alger, archipel de la liberté ». Il l’a ensuite invitée à participer à la biennale d’art et d’architecture, qui se déroule depuis le 16 septembre et jusqu’au 1er janvier à Vierzon.
« Je ne connaissais pas la ville. Je l’ai découverte lors d’un week-end de préparation en novembre 2021, raconte Leïla Saadna. J’ai été interpellée par la présence des quartiers populaires, certes accolés au centre-ville, mais constituant déjà, en quelque sorte, une périphérie. » Le thème de la biennale organisée par le FRAC est « Infinie liberté, un monde pour une démocratie féministe ». « J’ai souhaité construire le projet avec les habitantes et travailler en profondeur autour des femmes, souvent peu ou mal représentées dans la société. »
La documentariste s’est totalement immergée dans son sujet, puisqu’elle a vécu durant trois mois au cœur du quartier Tunnel-Château. « J’ai fait des rencontres assez fortes très rapidement », explique-t-elle. Dans la première partie du film, on découvre Warda et sa sœur Feyrouz, arrivées d’Algérie en 2009. Dans la deuxième, on suit Radhia et Kadiatou, Algérienne et Guinéenne, qui travaillent au chantier entretien chez C2S. Dans la dernière, Najiba, Syrienne, nous emmène à l’Ecopôle de La Chaponnière et au jardin au pied d’immeuble auquel elle participe (2).
Devant la caméra, dans une parole qu’on sent libérée et confiante, elles évoquent « El Ghorba », l’exil qui « glace le cœur », les difficultés rencontrées en France notamment pour travailler parce qu’elles refusent d’ôter leur voile, l’importance de connaître les lois pour résister face aux discriminations, « El Hogra », le sentiment d’injustice, le manque qu’elles ressentent pour celleux qu’elles ont laissé·es là-bas…
Combatives, elles poussent les parois des cases dans lesquelles la société française les enferment : elles ne sont ni soumises, ni aliénées par les hommes ou les religions. Warda raconte, par exemple, comment son père l’a soutenue dans ses démarches administratives et comment son mari l’a encouragée pour parler français. Celles qui portent le voile le font par choix et l’assument, quitte à se fermer des portes. Elles s’insurgent, revendiquent, apprennent pour lutter contre les injustices.
Pour porter leur propos, Leïla Saadna a choisi une forme très poétique. Entre les entretiens, de grands plans larges révèlent les quartiers de Vierzon sous un angle nouveau. Leur succèdent des gros plans sur des objets et mobiliers urbains, que le regard ne remarque plus dans la vie quotidienne. L’atmosphère est calme, le chant des oiseaux couvre celui des voitures, le temps s’écoule lentement... On est bien loin des clichés sur la ville de Vierzon, et sur les quartiers en général.
« Une terre à soi » sera projeté à Vierzon, le jeudi 24 novembre à 18 heures au musée, le mardi 29 novembre à 18 heures au centre social de la CAF dans le quartier de Tunnel-Château et le mercredi 7 décembre à 15 heures au Ciné Lumière.
• Pour en savoir plus sur Leïla Saadna : https://leilasaadna.com
• Pour découvrir le programme de la biennale d’art et d’architecture de Vierzon : http://www.ville-vierzon.fr/biennale-dart-et-darchitecture.html
(1) Fonds Régional d’Art Contemporain.
(2) Lire la rubrique (Ré)acteur·ices.