archives

(Re)lire

La Chaponnière : produire bio, local, (vraiment) pour tous·tes, avec la participation des habitant·es

Agir pour transformer son territoire. Creuser des brèches dans le béton. Y semer des graines. Les nourrir pour qu’une fois épanouies en légumes, elles nourrissent à leur tour. Les partager avec les proches pour multiplier les jardins. Et ainsi, reprendre le pouvoir. Sur les espaces de vie et sur les corps, physiques et politique.

Parce qu’elle touche à de nombreuses vulnérabilités, l’alimentation – comme l’habitat ou le travail – est un sujet éminemment politique qui touche à la justice. Pourquoi seul le public aisé peut consommer des denrées de qualité, respectueuses de l’environnement et des producteur·ices, provenant de circuits locaux ? Pourquoi les populations les plus démunies doivent se contenter de produits de plus mauvaise qualité, venant souvent de loin et transformés dans des conditions écologiques désastreuses ?
Les conditions dans lesquelles les populations ont aujourd’hui accès à l'alimentation doivent être questionnées. Les conditions dans lesquelles elles peuvent se réapproprier ce champ d’actions aussi.

C’est l’ambition de la Régie Inter Quartiers C2S à Vierzon, qui a lancé il y a peu l’Ecopôle alimentaire La Chaponnière. Le but : contribuer à développer la production de légumes bio sur le territoire, grâce à la participation active des habitant·es, pour rendre accessible à tous·tes, culturellement et financièrement, une alimentation de qualité. Il s’agit aussi de rendre le territoire plus autonome face aux enjeux climatiques et géopolitiques actuels.

Comment ce projet est-il né ? Quels sont les parcours des personnes qui y participent aujourd’hui ? De quelle manière l’Ecopôle alimentaire La Chaponnière entend modifier le paysage de son territoire ?

 

écopole graff

_________________________________________________________

Une dynamique de la ville transformée

_______________________________________________

L’idée a germé en 2010, alors que la Régie Inter Quartiers de Vierzon souhaitait se relier avec les habitant·es autrement que par l’emploi. A l’époque, elle propose des chantiers d’insertion autour du second œuvre, du ménage et de l’entretien des espaces verts.
Mais en quarante ans, la ville de Vierzon est passée de 33.000 à 27.000 habitant·es (1) et la politique de rénovation urbaine a considérablement transformé la dynamique des quartiers, en même temps que les relations sociales. Comment encourager les habitant·es à investir collectivement leurs espaces de vie ? Autour de quel sujet fédérateur ? L’alimentation était une piste.

« Il y a douze ans, nous avons créé un jardin partagé d’environ deux hectares dans le quartier Cellier, raconte Jean-Luc Birski, directeur de C2S. Le problème, c’est que les légumes que nous mettions à disposition partaient à la benne : les gens ne savaient tout simplement pas comment les cuisiner. C’est pourquoi, nous avons monté un restaurant associatif éphémère, à l’auberge de jeunesse. Nous y proposions des ateliers de cuisine et un repas hebdomadaire où se croisaient des publics très différents, dans une ambiance conviviale. Ça a bien marché pendant deux ans. »
Mais en 2012, C2S doit faire face à d’importantes difficultés financières. Parallèlement, le jardin partagé est régulièrement squatté par des jeunes désœuvré·es qui détruisent tout ce qui s’y trouve. L’auberge de jeunesse tarde à être remise aux normes. Et la Régie Inter Quartiers manque alors de soutien politique pour son projet. « Un contexte merdique localement », résume sans détours Jean-Luc Birski.

________________________________________________________________________

Le développement durable au cœur des quartiers

__________________________________________________________

Heureusement, nationalement, des portes s’ouvrent : le réseau le Mouvement des Régies (2) décide de placer le développement durable au cœur de ses projets avec des actions sur la précarité énergétique, les déchets et les jardins au pied d’immeubles. Il crée pour cela une association, Si T’es Jardin (3), que Jean-Luc Birski a présidée : « Le développement durable, habituellement, ce n’est pas la priorité dans les quartiers d’habitats sociaux. J’ai fait pas mal de voyages à travers la France pour découvrir les expériences de territoires très différents. » L'association collabore aussi avec des structures telles que l’école Agro Paris Tech qui travaille sur l’agriculture urbaine.

En 2018, la Ville de Vierzon contacte la régie pour débroussailler un site qu’elle a mis en vente : le moulin de la Chaponnière. « Nous l’avons d’abord trouvé extra pour les moutons que nous utilisons en éco-pâturage, raconte Jean-Luc Birski. Et puis, finalement, c’était aussi idéal pour notre projet autour de l’alimentation. Le maire de l’époque, Nicolas Sansu, a tout de suite dit oui. » En février 2020, le conseil municipal le suit et un bail emphytéotique de 18 ans est signé.

 

ecopole batiment

 

Daté du XVe siècle, le moulin était passé propriété de la Ville dans les années 1970. Devenu centre de loisirs avec puis sans hébergement, et enfin salle des fêtes, il a fermé ses portes faute d’une remise aux normes. Il est resté environ dix ans à l’abandon mais après quelques travaux, C2S y a installé des espaces de stockage, des bureaux, une cuisine et une salle de pause. Autour du moulin, la régie bénéficie de huit hectares de champs et de bois, bordés par la rivière l’Arnon.

___________________________________________

Former des maraîcher·es bio

___________________________________

Premier volet du projet à voir le jour en octobre 2020 : le chantier d’insertion en maraîchage bio. Avec une particularité : « Recruter des personnes vraiment intéressées par l’agriculture. » Ce n’est pas toujours le cas : les chantiers d’insertion ont pour but de relancer des personnes éloignées de l’emploi sans qu’ils aient forcément de rapport avec les rêves professionnels des participant·es. Mais pour développer une alimentation locale, il faut bien des cultivateur·ices sur le territoire.

A l’Ecopôle alimentaire, onze personnes suivent un parcours de formation en alternance. Sur le terrain, c’est Yoann Duquesne, chef de culture, encadrant technique, qui les accompagne : « Mon rôle, c’est la planification des cultures, la recherche des variétés, l’organisation des jardins par rapport aux rotations et la gestion du chantier d’insertion. »
S’iels habitent tous·tes Vierzon et ses alentours, les participant·es ont « des profils variés » : « du sans emploi et sans diplôme au bac + 4, mais tous·tes motivé·es. Il faut simplement réussir à les garder concentré·es. Iels se démotivent vite faute de confiance en elleux. »

 

écopole matthieu

 

Sur 1,5 hectare, en plein champ et sous huit serres, iels ont appris à cultiver une soixantaine de variétés. Selon quelles pratiques culturales ? « Nous travaillons avec des semenciers certifiés bio et nous faisons tous nos plants, répond Yoann Duquesne. Nous avons obtenu la certification bio immédiatement à notre installation parce que le site n’avait pas été cultivé pendant 40 ans. Nous n’utilisons aucun engrais chimique. Nous amendons grâce au fumier des moutons et les résidus des chantiers d’entretien des espaces verts. Nous travaillons le foin et le paillage pour éviter un maximum les bâches en plastique. Nous avons un tracteur mais nous utilisons peu la mécanisation. »

Le chef de cultures souhaite diversifier au maximum les légumes, en réintroduisant des variétés anciennes ou originales, par exemple. « Avec le changement climatique, les variétés remontent géographiquement. Nous pouvons envisager ce qui est plus exotique et qui est recherché par certaines communautés accueillies à Vierzon. Ça donne lieu à des dégustations et des discussions ! »

___________________________________________________________

De l’espace-test à la coopérative agricole

________________________________________________

Sur les onze personnes engagées au départ, huit sont restées et six souhaitent poursuivre sur la voie du maraîchage. C’est le cas de Joé, Albane, Jonathan et Bastien. « Je n’y connaissais rien du tout, avoue Joé. Avant, j’avais fait un service civique « santé-bien être ». Le chantier m’a permis de savoir me débrouiller, d’être polyvalent et plus autonome. Et le maraîchage m’a plu. J’ai envie de continuer. Peut-être pas en m’installant mais en étant employé. »
C’est en travaillant dans la vente qu’Albane a découvert les fleurs coupées. Son conseiller à Pôle emploi l’a encouragé à se tourner vers la culture. « Je veux m’installer sur une petite surface, à taille humaine, pour faire des légumes plutôt anciens et planter des fleurs pour faire venir les auxiliaires. J’ai aussi envie d’y mettre des animaux. »

 

écopole matthieu

 


Jonathan n’était pas du métier non plus : « J’étais très renfermé sur moi. Ici, je me suis ouvert. Il y a une bonne ambiance dans le groupe. On vient de plein d’horizons différents, on se tire vers le haut. » Il souhaite s’installer tout en étant accompagné, « pour faire ses preuves sans prendre trop de risques ».
Bastien, qui venait du bâtiment mais partait avec « des bases de maraîchage », a choisi de se lancer aussi « sur l’espace-test agricole ».

L’espace-test ? « C’est la prochaine étape, en lien avec l’ADDEAR (4), explique Jean-Luc Birski. Nous pourrons y aider les futur·es maraîcher·es à mutualiser leurs moyens humains, les outils techniques et les réseaux de commercialisation. La perspective, ce serait quelque chose qui ressemble à une coopérative agricole. »
La commercialisation est un point délicat. « Pour l’instant, nos légumes sont vendus sur place lors du marché du vendredi, explique Céline Millérioux, responsable du développement de l’Ecopôle. Nous commercialisons un peu en restauration collective, dans les restaurants de Vierzon et en épiceries. Mais nous devons nous faire connaître davantage. Nous avons le projet d’un second marché, en ville, et un site Internet est en préparation pour passer des commandes et les retirer dans des points relais. »

 _________________________________________

Bientôt une cuisine mobile

__________________________________

A la Chaponnière, une cuisine accueille des ateliers. Mais Céline Millérioux attend avec impatience la cuisine mobile qui sillonnera bientôt les quartiers de Vierzon. « Cela nous permettra de proposer des formations, de promouvoir la production locale et la transformation, souligne-t-elle. Nous voulons montrer que d’autres manières de se nourrir sont possibles et casser les a priori selon lesquels si l’on ne mange pas de viande, c’est qu’on est pauvre ou qu’on ne mange pas équilibré. »
En ce vendredi 21 octobre sur le marché, à l’occasion de la Quinzaine du goût (5), elle a proposé un petit déjeuner original aux client·es : carrot cake, pâte à tartiner au chocolat et à la patate douce, confiture de tomates vertes… Celleux qui se sont laissé·es tenter semblaient presque surpris·es d’apprécier !

Cet été, une programmation festive, avec notamment des marchés nocturnes et concerts, a permis de mieux faire connaître le lieu. Mais, situé à cinq kilomètres de Vierzon, ne s’éloigne-t-il pas trop des habitant·es des quartiers ? Aucun transport en commun ne vient en effet jusqu’ici. Une navette serait certainement la bienvenue même si chacun·e semble s’organiser en covoiturage, en vélo et même en trottinette électrique…

 

écopole chat

____________________________________________________________

Le jardin, porte ouverte vers le lien social

________________________________________________

Un autre volet de l’Ecopôle se déroule directement dans la ville : celui des jardins partagés au pied d’immeubles. Depuis avril 2021, Matthieu Martin accompagne leur développement : « Il en existe quatre, sur des terrains prêtés par la Ville, à Tunnel-Château, avenue du Colonel-Manhès, à l’église Notre-Dame et rue de Jérusalem. Mais celui-ci va bientôt s’arrêter par manque de proximité et de point d’eau. Des habitant·es s’y investissent, ainsi que des structures comme les centres sociaux ou l’Eglise (6). »
L’objectif : « provoquer l’espace et le temps de rencontres » autour de la production de légumes. « La rencontre permet de chasser l’ignorance et donc, de vivre ensemble. Nous luttons par exemple contre les clichés sur les personnes issues de la migration qui vivent dans ces quartiers. »

Najiba est l’une d’entre elles. Originaire de Syrie où elle était cultivatrice sur une ferme de 150 hectares, elle n’a jamais cessé de mettre les mains dans la terre, même dans son parcours d’exil qui l’a d’abord menée au Liban. En face de son appartement, elle participe à un potager dans lequel poussent actuellement blettes, oignons, choux, persil, menthe, encore un peu de tomates et d’aubergines. Sans oublier le za’atar, l’aromate de son pays d'origine (7). « L’été, nous faisons des fêtes ici, raconte-t-elle en désignant un espace où des bancs et des tables ont été construits avec des palettes en bois. Et nous faisons du pain. » Les légumes ? « Distribués aux familles. » Une vingtaine vivent dans son immeuble.

 

écopole matthieu

 

Najiba fait aussi partie de l’équipe du chantier d’insertion à la Chaponnière. Les journées sont longues, souvent fatigantes mais pas question d’abandonner ce petit lopin de terre juste en face du foyer !
« Techniquement, les personnes sont libres de cultiver comme elles le souhaitent, précise Matthieu Martin. Il ne s’agit pas d’être dans un rapport sachant / apprenant mais bien de permettre à chacun·e de s’exprimer et de montrer ce qu’iel peut faire. Le jardin partagé est une vraie porte ouverte vers le lien social. »

_________________________________________

Le compost, même en ville

__________________________________

Son rôle est aussi de développer le compost. Au 1er janvier 2024, les collectivités territoriales qui en ont la compétence auront l’obligation de proposer à leurs administré·es une collecte de déchets alimentaires. L’enjeu est de les recycler pour produire du compost ou du biogaz, et réduire l’activité des centres d’enfouissement ou des usines d’incinération (8).
« Nous devons lancer des initiatives pour habituer les gens à composter. Nous expérimentons un modèle école-jardin-compost, avec un compost collectif à Tunnel-Château. Ainsi, quand les enfants sont en vacances, les habitant·es du quartier peuvent prendre le relais ! »

 

écopole matthieu

 

Ce vendredi 21 octobre, « journée mondiale des vers de terre ! », il a reçu la crèche de Genouilly et l’école de Saint-Hilaire-de-Court pour des animations. « Il faut apporter un côté ludique et sensoriel au sujet, sans discours moralisateur. Les enfants sont alors de très bons ambassadeurs auprès des adultes. »
De la même manière, un jardin pédagogique animé par Charlotte Garsault accueille tout au long de l’année les établissements scolaires. « Au départ, nous les démarchions. Désormais, nous croulons sous les demandes », sourit Céline Millérioux.

___________________________________________________

Un programme au-delà de Vierzon

_________________________________________

En visant ainsi différents publics, l’Ecopôle s’inscrit dans une démarche ambitieuse, sur du long terme, qui ne s’arrête pas aux contours de la ville de Vierzon : il participe par exemple au programme PATAMIL - équité alimentaire et projets de territoires. Céline Millérioux explique : « Il s’agit d’un programme de recherches auquel j’ai pris part en tant qu’étudiante en géographie à l’Université de Tours. J’ai d’ailleurs réalisé mon mémoire sur la justice alimentaire sur les territoires de Vierzon et de Foëcy. Avec mon directeur d’études, nous avons décidé de poursuivre le partenariat. »

PATAMIL part du constat d’une alimentation à deux vitesses : l’une, de qualité et respectueuse de l'environnement, accessible à un public aisé ; l’autre, s’adressant à un public plus pauvre, de mauvaise qualité et produite dans de mauvaises conditions. L’objectif de PATAMIL est de lutter contre ce système au nom de la démocratie et de l’équité alimentaires. Comment ? En croisant des stratégies et des expériences de la Région Centre en France et du Tamil Nadu en Inde (9). « Arrêtons de regarder les pays du sud comme des vassaux des pays du nord. Ce type de projets permet de changer de regard et de constater que les pays du sud ont beaucoup à nous apprendre », souligne Céline Milléroux.

De 2022 à 2025, les chercheur·ses de différentes centres (10) vont travailler sur les territoires des Pays des Châteaux, du PETR (11) Centre-Cher et Gâtinais-Montargois, la Communauté de communes de Loches-Touraine, et les secteurs indiens de Pondichéry, Maduraï et Jawadhi Hills. Des jeunes en formation participeront également, provenant du lycée agricole du Subdray près de Bourges, du lycée en forêt de Montargis, des lycées hôteliers des deux pays ainsi que des étudiant·es des universités de France et d’Inde.
Quel sera le rôle de l’Ecopôle ? « Celui de relais, répond Céline Millérioux, notamment pour faire connaître le programme auprès de celleux qui travaillent sur le PETR. Selon les besoins, il est possible d’accueillir des étudiant·es pour travailler avec nous. Ce serait appréciable quand on connaît les contraintes budgétaires des collectivités, qui n’ont pas toujours les moyens d’embaucher pour ça. »

Parmi les missions que l’Ecopôle pourrait confier à ces étudiant·es : un inventaire des terrains disponibles alentour, afin de poursuivre l’objectif d’installer davantage de maraîcher·es, pour toujours plus de justice alimentaire.

 Texte et photos : Fanny Lancelin

(1) Source INSEE au 30 juin 2016, reprise par la Ville de Vierzon : https://www.commune-mairie.fr/demographie/vierzon-18279/
(2) https://www.lemouvementdesregies.org/
(3) https://www.lemouvementdesregies.org/si-tes-jardin-les-regies-cultivent-les-territoires-populaires
(4) Association Départementale pour le Développement de l'Emploi Agricole et Rural, émanation de la Confédération Paysanne. https://www.agriculturepaysanne.org/addear18
(5) La Quinzaine du goût : https://fr.calameo.com/books/007124287efd1404965ef
(6) La paroisse de Vierzon a obtenu le label « Eglise Verte » pour son engagement notamment dans ce jardin. Un label qui récompense les actions de la communauté chrétienne en faveur de l’écologie. Plus d’informations sur www.egliseverte.org
(7) https://fr.wikipedia.org/wiki/Zaatar
(8) https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A15940
(9) Le Tamil Nadu est l’une des cinq régions prioritaires de la politique de coopération décentralisée de la Région Centre.
(10) Retrouvez la liste complète des participant·tes sur http://citeres.univ-tours.fr/spip.php?article3515
(11) PETR : Pôle d’Equilibre Territorial et Rural. PETR Centre-Cher : https://www.sirdab.fr/petr/

 

Plus

• Le marché de l’Ecopôle se déroule tous les vendredis au moulin de la Chaponnière à Saint-Hilaire-de-Court.

• Plus d’informations sur le site www.ecopolelachaponniere.com