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« La bombe », D. Alcante, L.F. Bollée, D. Rodier

Le nucléaire civil et le nucléaire militaire sont liés et l’ont toujours été. C’est ce que nous rappelle cette œuvre fleuve, qui prend sa source au moment même où naquit l’uranium et qui se termine sur une tragédie : la catastrophe d’Hiroshima. La période couverte par ce roman graphique se concentre sur la partie la plus dense de l’histoire : entre 1933 et 1945, la conception et la fabrication de la bombe.

Les auteurs, Didier Alcante et Laurent-Frédéric Bollée, et le dessinateur Denis Rodier réussissent ici un tour de force : s’emparer d’un sujet complexe techniquement et politiquement, le décliner sur 470 pages en noir et blanc, tout en le rendant passionnant ! A sa sortie en 2020, les critiques des bédéistes étaient dithyrambiques, du point de vue graphique et narratif, mais aussi pour la contribution que les trois hommes apportent au sujet, grâce à un travail préparatoire colossal qui a duré quatre ans.

La taille de l’ouvrage ne doit pas effrayer ! L’histoire est racontée de manière chronologique et elle est découpée en chapitres, de sorte qu’on peut la lire en plusieurs fois. Mais les lecteur·ices seront sans nul doute captivé·es !

Iels suivront ainsi le destin du Hongrois Leo Szilard et de l’Italien Enrico Fermi qui migrèrent aux Etats-Unis à l’arrivée des Nazis et des fascistes. Ces deux scientifiques sont à l’origine du projet baptisé « Manhattan » qui donna aux Américain·es la bombe atomique pour en faire une arme de dissuasion contre l’armée allemande. Même si l’on connaît l’issue de la guerre, les auteurs parviennent à créer un véritable suspens en mettant en scène la course contre la montre entre les belligérant·es, en présentant en parallèle les travaux des Russes, des Allemands, des Anglais et des Japonais.

Les scientifiques ne sont pas les seuls personnages de l’histoire : les militaires et les politiciens de l’époque habitent aussi ces pages. Ce qui rappelle que sans impulsion politique et sans soutien des armées, le nucléaire n’aurait jamais pu se développer tel qu’il l’est aujourd’hui. 

Ses victimes, elles, hantent les dernières bulles. Leurs silhouettes incandescentes doivent éclairer à jamais notre histoire collective. Car quelles leçons avons-nous réellement tirées d’Hiroshima ? Luttons-nous suffisamment pour qu’une telle horreur n’advienne plus jamais ? Les dernières pages du livre ne sont pas dessinées. Elles sont le fruit des réflexions des auteurs et dessinateur qui livrent pourquoi ils ont mené ce projet et comment ils l’ont vécu.

Laurent-Frédéric Bollée finit par ces mots inspirés du film « Hiroshima mon amour » d’Alain Resnais : « Oui je suis allé à Hiroshima, oui je souhaite y retourner, oui j’ai coécrit La Bombe, oui j’ai participé à ma façon à une œuvre littéraire et graphique, oui j’ai apporté ma modeste contribution à un thème qui nous concerne tous. Mais j’ai l’impression que l’ombre demeurera à tout jamais. »

F.L.

Pour en savoir plus et découvrir un extrait du roman graphique, rendez-vous sur le site de la maison d’édition Glénat : https://www.glenat.com/1000-feuilles/la-bombe-9782344020630