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« D'étonnants jardins en Nord - Pas de Calais »

Les Houillères ont disparu, les cités minières se sont transformées. Mais un autre patrimoine, tout à fait inattendu, risque de disparaître lui aussi : les jardins des habitants-paysagistes du nord de la France. Une publication passionnante leur est consacrée. A l'intérieur, on y retrouve même la Cathédrale de Jean Linard...

Non, Jean Linard n'était pas Ch'ti et la Cathédrale n'a pas vu le jour dans les corons ! (lire la rubrique (Ré)acteurs) Si le site est évoqué dans l'ouvrage « D'étonnants jardins en Nord - Pas de Calais », c'est sous la plume de Laure Chavanne, restauratrice de sculptures : dans l'introduction, elle explique l'importance de « Préserver la mémoire des âmes bricoleuses » et donne pour cela l'exemple du travail mené par l'association Autour de la Cathédrale de Jean Linard à Neuvy-deux-Clochers.
« Comment préserver et restaurer ces environnements construits avec des matériaux précaires ? interroge-t-elle. Comment enregistrer la mémoire des bâtisseurs et comment documenter ces sites ? Comment les prendre en charge ? » Pour la Cathédrale de Jean Linard comme pour les jardins des cités minières, « il y a urgence à sauver (…), restaurer dans leur matérialité ces réalisations mais aussi urgence à les documenter pour enregistrer leur mémoire immatérielle, écrit encore Laure Chavanne. Le lien entre patrimoine physique et patrimoine immatériel apparaît indispensable pour assurer une meilleure représentation des sites d'habitants-paysagistes qui font le lien entre art savant et art populaire. »

En cela, cet ouvrage, réalisé par le service de l'Inventaire général du Patrimoine culturel de la Région Nord - Pas de Calais, est un précieux témoignage. Il est le fruit d'un travail minutieux, dont l'objectif était « de réaliser un inventaire scientifique des jardins et des sites qui entrent dans la définition des habitants-paysagistes ». Selon Bernard Lassus – architecte ayant utilisé ce terme pour la première fois –, il s'agit de « personnes qui exercent une activité créatrice au sein même de leur espace d'habitation ». En l'occurrence, ici, leur jardin.

Après avoir recoupé les sources documentaires, recensé les sites existants ou ayant existé, rencontré les créateurs ou leurs proches, l'équipe de l'Inventaire a sélectionné une vingtaine de « jardins insolites (…) qui attirent le regard et qui interpellent par leur originalité ou leur incongruité ».  Ils ont été réalisés par d'anciens ouvriers de la mine, souvent au moment de leur retraite, pour « passer le temps » ou « se trouver une activité » mais aussi pour « exprimer leur originalité ». Dans un environnement marqué par l'uniformité, ils pouvaient ainsi se démarquer, imprégner leur habitation d'une identité bien à elle, s'offrir un espace à leur image.
Les réalisations sont de formes, de couleurs et d'inspirations variées mais elles possèdent toutefois quelques points communs : elles sont généralement faites de matériaux de récupération, et elles mêlent des univers à la fois réalistes, poétiques et féeriques.
La génération des anciens mineurs vieillit et bientôt, s'éteindra. Déjà, des jardins ont été détruits par les nouveaux propriétaires. D'autres sont laissés à l'abandon. Que deviendront les œuvres qui les peuplent ?
Les documents tels que ce livre attesteront de leur existence et de celle de leurs créateurs, hommes et femmes ordinaires qui devinrent, par cet acte même d'expression, extraordinaires.

« D'étonnants jardins en Nord - Pas de Calais », par le service du Patrimoine culturel de la Région Nord - Pas de Calais, aux éditions Lieux-Dits, 2015.