« On est face à une France à deux vitesses où les sujets de mobilité sont souvent vécus comme une injustice entre les citoyens et entre les territoires. » (*) Elisabeth Borne, ministre française des Transports.
Celui ou celle qui a vécu en milieu rural et en milieu urbain le sait : l’égalité républicaine face aux transports n’est qu’une utopie. Et encore. Pour qu’il y ait utopie, il faudrait qu’il y ait désir. Or, dans certains départements ou certaines régions, les élus manquent sérieusement de volonté lorsqu’il s’agit de faciliter la mobilité des habitants.
« Trop chers » ou « quand ils existent, les transports en commun ne sont pas assez fréquentés » ou « les gens préfèrent leur voiture », se justifient-ils (bien trop) souvent.
Je suis née en Mayenne et y ai vécu jusqu’à mes 17 ans. J’ai habité dans le fin fond du Morbihan, de la Sarthe, de l’Ardèche mais aussi à Rennes, Strasbourg, Paris. J’ai observé de nombreuses disparités et pas toujours là où on les attend : certains territoires ruraux disposent de très bons réseaux, pourvu qu’ils aient les très bons responsables...
Je suis aujourd’hui installée dans le Cher et me déplace beaucoup. Je suis attentive à mon empreinte carbone et rien ne me fais plus plaisir que de laisser ma voiture dans son garage. Mais, de chez moi, me rendre à Bourges sans elle relève – selon les points de vue – de l’aventure ou du concept de slow life. Voyager d’un bout à l’autre du département ? Un autre concept… D’un département à un autre ? Un rêve ! Aucune ligne de bus adaptée, peu de propositions de covoiturage. Alors, bien sûr, on s’arrange entre voisins, collègues, amis ; on peut grimper sur un vélo ou devenir un auto-stoppeur aguerri. Mais, force est de constater que ne pas avoir le permis ou ne pas avoir de véhicule (quel qu’il soit, même partagé) se révèle être un véritable handicap, un véritable frein à l’autonomie. D’autant plus lorsqu’on a des difficultés financières et / ou d’apprentissage.
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Une entrée par la difficulté d'apprentissage
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C’est le constat que l’association Accueil et Promotion a fait dès les années 1990.
Créée en 1965 à Bourges, son rôle était alors de venir en aide aux migrants s’installant dans le Cher, notamment par l’apprentissage linguistique. Vingt-cinq ans plus tard, son public s’est élargi aux Français, adultes, en situation d’analphabétisme. « Nous avons toujours été sensibles aux besoins des personnes accueillies. Les problèmes de permis et de code revenaient souvent, raconte Sophie Noc, directrice de l’association. Nous avons monté des actions avec les Missions locales, des partenariats avec des auto-écoles, des cours de soutien... »
Progressivement, un autre projet est élaboré : une auto-école associative, qui voit le jour en 2015. « Il en existe quasiment dans tous les départements, mais la forme spécifique de celle du Cher, c’est l’entrée par la difficulté de l’apprentissage. » L’objectif de la structure est donc bien « d’améliorer la mobilité pour les personnes en situation précaire ET en difficulté d’apprentissage ». Le passage du permis doit aussi être lié à un projet professionnel ou de formation.
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La clé de la réussite ? Le temps...
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Les candidats peuvent être prescrits par Pôle emploi, la Mission locale, des assistants sociaux, une entreprise d’insertion… « On commence par un diagnostic d’environ deux heures, sur simulateur et avec des tests cognitifs, explique Thierry Bonin, coordinateur de l’auto-école associative. Une commission se réunit et en fonction des résultats, le candidat est refusé, ou bien accepté avec une pédagogie qui sera adaptée, ou encore redirigé vers une auto-école classique. » Depuis 2015, environ 50 % des candidats sont entrés dans l’auto-école associative. « Pour les personnes étrangères, il faut un minimum de vocabulaire pour communiquer avec moi, mais il n’est pas nécessaire de savoir parfaitement écrire ou lire, assure Thierry Bonin. Avec une bonne mémoire auditive, c’est possible. »
Première étape pour ceux et celles qui ont de grandes difficultés d’apprentissage : une pré-formation pour acquérir les savoirs dits « de base ». Viennent ensuite les cours de code (80 heures en salle, par petits groupes) et de conduite (50 heures minimum, en individuel). « En moyenne, il faut compter un an pour passer code et conduite chez nous », souligne Thierry Bonin. Car ici, la clé du succès est le temps : prendre le temps pour apprendre, mais aussi pour porter une attention sincère, pour encourager.
Accueil et Promotion n’a pas la pression financière d’une entreprise d’auto-école classique : ses financeurs sont majoritairement publics (Etat, Département, Ville). L’enveloppe permet la formation de 80 personnes par an. Le prix de la prestation s’élève à 530 euros ; au-delà du volume défini pour la conduite, le candidat paie 10 euros par heure supplémentaire.
En plus du coordinateur, l’équipe est constituée de trois enseignantes de la conduite (monitrices diplômées) et d’une personne en service civique pour les cours de code. Sept bénévoles apportent également leur soutien, dans le cadre d’un module de conduite supervisée (lire plus loin).
Les outils pédagogiques ont été créés par l’association elle-même. « Cela permet de faire évoluer les contenus, de les adapter », précise Thierry Bonin. Exemple concret, un matin neigeux…
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Une pédagogie très active
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Bourges – mercredi 7 février 2018, 8 h 30
Les locaux de l’auto-école associative se situent au rez-de-chaussée d’un édifice religieux, la chapelle Saint-Paul, dans le quartier des Gibjoncs à Bourges. Le cours de code va bientôt commencer ; les participants arrivent les uns après les autres : Ilhem, Myriam, Thérèse, Pascaline, Andrea, Patricia, Vladislav, Imad, Marie et Aissatou. « Etrangers et français sont mélangés, reconnaît Thierry Bonin. Les difficultés du groupe permettent de le renforcer, de le motiver. Ici, le taux d’absentéisme est quasiment nul. » Tous ont débuté la formation le 8 janvier et viennent durant trois heures, deux fois par semaine, apprendre le code.
Ce matin-là, c’est le comportement du conducteur qui est évoqué et, plus particulièrement, les conséquences de la consommation d’alcool sur sa conduite. Ici, la pédagogie est active : le cours mêle jeux de questions-réponses, schémas au tableau, à des exercices de simulation avec film d’animation à choix multiples… L’ambiance est détendue mais attentive.
Les participants apprécient : « C’est complètement différent d’une auto-école normale, explique Pascaline. Là-bas, on te balance un CD, on te fait passer des tests et débrouille-toi ! On est livré à nous-mêmes ! Ici, Thierry nous explique bien, on est bien entouré. »
Ce qui les motive à passer le permis ? Le travail et le désir d’autonomie. « Je suis assistante maternelle, livre Ilhem. J’ai perdu deux contrats parce que je n’avais pas le permis, cela posait problème aux parents. J’habite à Asnières, c’est mal desservi par les bus. » Marie se souvient s’être levée à 4 heures du matin pour se rendre à pied à un stage, à l’autre bout de la ville. « Pour le travail, on nous demande le permis tout le temps ! » insiste Aissatou. La plupart des participants ont été découragés par le système classique ou n’avaient pas assez de moyens financiers.
Aujourd’hui, ils semblent tous déterminés, même si l’apprentissage du code est difficile. « Je vais au boulot, je m’occupe de la famille et après, il faut encore avoir l’énergie de réviser ! Ce n’est pas évident... » soupire Thérèse.
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« Rendre autonomes et responsables »
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Bourges – mercredi 7 février, 11 heures
Je laisse le groupe pour rejoindre Patricia et Aurore dans la voiture auto-école d’Accueil et Promotion. La veille, il a beaucoup neigé mais aujourd’hui, les routes sont dégagées. La fin de la formation approche pour Patricia, qui se présentera bientôt à l’examen de conduite. « Il y a quelques heures encore, elle manquait de confiance, mais aujourd’hui, c’est beaucoup mieux ! » encourage Aurore, sa monitrice. Après une douzaine d’années d’expérience en entreprise, elle a intégré l’équipe de l’association il y a un an. « La différence essentielle ? Le temps... et aussi le fait que le projet soit lié à l’emploi. Nous créons une spirale positive : avoir le permis, ça donne envie d’avancer ! » Aurore prend soin de s’adapter à chacun des candidats : « Mon but est de les rendre autonomes et responsables, et de leur apprendre à gérer leur stress pour l’examen. Il faut savoir dire les choses de manière douce, être à l’écoute, parfois booster ! »
Les parcours se concentrent sur le centre-ville de Bourges et les routes environnantes. Depuis 2017, un cours a également été ouvert à Vierzon. Au total, environ 500 kilomètres sont cumulés durant la formation.
Ce jour-là, Patricia reste dans les quartiers voisins des Gibjoncs. Si le freinage est encore un peu sec, elle semble relativement à l’aise. « J’avais surtout des problèmes de mémoire. A l’auto-école normale, je peinais, je nageais complètement ! Ici, ils prennent le temps et pour le code, on s’entraide en groupe. » Elle a connu l’auto-école associative par une amie, puis en a parlé à son assistante sociale. « Elle ne voulait pas ! Mais j’ai persisté : je lui ai cassé les pieds pendant un mois. Au final, elle a accepté... » Aurore plaisante : « La persistance, c’est important pour le permis ! »
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Une conduite supervisée avec des bénévoles
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Certains élèves ont plus de difficultés que Patricia : ils ne parviennent pas à gérer le stress de l'examen ; ou bien, ils ont le permis mais n'ont pas conduit depuis longtemps ; ou encore, ils sont étrangers et n'ont jamais conduit en France.
L'association Accueil et Promotion a créé un module spécialement pour eux : la conduite supervisée. Cette formation commence par une remise à niveau par les enseignantes de la conduite, se poursuit par un rendez-vous avec l’accompagnant tuteur pour établir un bilan et préciser les axes de progrès sur lesquels travailler ; elle se termine par les phases de conduite supervisée.
Les accompagnants sont des bénévoles qui ont tous reçu une formation d’une journée. Ils offrent leur temps en fonction de leurs disponibilités, un planning mensuel étant établi avec Accueil et Promotion.
C'est le cas de Marie-Thérèse Petit, habitante de Plaimpied. Agée de 66 ans, elle est aujourd'hui en retraite après avoir travaillé notamment à la médiathèque de Bourges, dans les annexes des Gibjoncs et du Val d'Auron. Comment a-t-elle connu l'auto-école associative ? « Par un ami faisant partie du Conseil d'administration. » Elle a souhaité ainsi « aider les personnes à accéder à cette sorte de liberté qu'est de pouvoir conduire. » « C'est la même démarche que la lecture, assure-t-elle. Se repérer, s'entraîner, être autonome et s'envoler ! »
Elle consacre une heure et demi par semaine à l'association, sans compter ses temps de trajet. Selon elle, le rôle de l'accompagnant est de donner confiance, relativiser la conduite tout en restant vigilant et permettre à l'élève, au final, d'avoir une conduite souple et aisée. Mais Marie-Thérèse insiste sur un autre point : la relation humaine. Lorsqu'on lui demande quelles qualités il faut avoir pour être accompagnant, elle répond ainsi : « ne pas (être) stressée, parler de tout , un peu d'humour, se raconter des blagues, être un peu battante, se donner des défis comme réussir un créneau ou contrôler la vitesse dans les ronds-points. Si la personne cale plusieurs fois, par exemple, la pénalité correspondra à un carré de chocolat ou un chewing-gum et ensuite on partage... ce fut une surprise quand Najate est arrivée avec sa tablette de chocolat !! On s'est bien amusées !! Tout ça en toute simplicité. »
Najate est la deuxième personne qu'elle accompagne. Elle a déjà son permis mais n'a pas conduit depuis longtemps et doit donc retrouver ses réflexes. La première, Hakima, a obtenu son diplôme. Marie-Thérèse raconte : « J'avais attendue Hakima à la fin de son épreuve-permis et nous avions bu un pot de confiance car nous étions certaines qu'elle l'aurait ! Hakima m'a envoyé un texto de réussite et a offert un repas au sein de l'association ! C'était un régal ! Voici ce qu'elle m'a dit quand on s'est revues au mois de septembre : "Marie encore merci ! Dans la vie, on rencontre des gens super sympas qui donnent des coups de mains !!" Hakima avait sa petite voiture, j'ai retrouvé son sourire rayonnant !! C'est la vie, c'est sympa cette reconnaissance, c'est extrêmement enrichissant ! L'aspect humain (liberté, grandir, évoluer) est la clef de voûte de cette association. »
Accueil et Promotion a-t-elle des projets ? D'autres modules sont-ils dans les cartons ? Pas de nouveauté pour l’auto-école cette année : la structure a grandi rapidement et doit se stabiliser. « Tous les financements ne sont pas pérennes, prévient Sophie Noc, la directrice. En 2018, nous recherchons des mécénats et d’autres soutiens. » L'appel est lancé...
Fanny Lancelin
Contacts : Accueil et Promotion - 5 rue Samson à Bourges – 02.48.70.04.94. Site Internet : www.accueil-promotion.net
Un projet de loi sur les mobilités
De septembre à décembre 2017, le ministère des Transports a organisé les Assises de la mobilité. Le but : entendre les besoins des acteurs du secteur, des élus des territoires et des citoyens. Pour cela, une soixantaine de réunions publiques ont eu lieu à travers toute la France, le site Internet du ministère s'est ouvert aux contributions (25.000 déposées) et une consultation de groupes d'experts a été organisée.
Résultat ? « Un diagnostic implacable de la situation du transport en France », selon Elisabeth Borne, ministre en charge de ces questions (*). « On est face à une France à deux vitesses où les sujets de mobilité sont souvent vécus comme une injustice entre les citoyens et entre les territoires (…) reconnaît-elle. Il y a une véritable urgence à répondre à ces réalités en ayant en tête que la mobilité physique est la condition nécessaire à la mobilité professionnelle et la mobilité sociale. »
Les Assises doivent donc nourrir le projet de loi d'orientation des mobilités qui sera annoncé dans les prochains jours mais dont les grandes lignes sont déjà connues :
- un plan sur dix ans pour une remise à niveau du réseau de routes nationales ;
- la couverture de l'ensemble du territoire français par une autorité organisatrice des transports (actuellement, seules les grandes métropoles en bénéficient). Pour organiser quoi ? Par exemple, le covoiturage ou le transport à la demande (lire aussi (Re)visiter) ;
- une mise à niveau du ferroviaire pour gommer les points noirs ;
- un plan vélo.
Il semble que les grands projets d'infrastructures soient suspendus et que le principe soit désormais de renforcer l'existant. Les solutions innovantes et utilisant des modes de transport « alternatifs », avec un impact moins important sur l'environnement, devraient être privilégiées.
Pas d'annonce pour le moment concernant le financement de ces « priorités ». C'est le Parlement qui devra décider.
(*) Extrait de l'entretien publié dans le journal La Croix le 12 décembre 2017 : https://www.la-croix.com/Economie/France/Elisabeth-Borne-plan-dix-ans-achever-desenclavement-France-2017-12-12-1200898967