Le mois dernier, (Re)bonds partageait avec ses lecteurs et lectrices l'existence du PRAHDA du Subdray (Lire dans Archives, onglet en haut à droite du menu). Les conditions dans lesquelles les migrants y vivent n'ont pas changé.
Mais, à Bourges et dans les villages alentour, des habitants viennent en aide aux laissés pour compte de la politique d'immigration française. Ils n'attendent pas après l’État, ils agissent. Selon leur foi ou leur conscience politique. Témoignages.
Morogues, lundi 9 octobre 2017, 14 heures.
Je suis attendue : la petite porte de bois s'ouvre avant même que je frappe. Amer et son sourire teinté de mélancolie m'accueillent, avant qu'arrive sa sœur cadette, Alaa. J'entre dans la maison ancienne, restaurée, que la famille Hadaya loue depuis quelques mois dans le bourg de Morogues. Alaa m'invite à m'asseoir dans le salon : une grande table familiale ; des canapés moelleux ; un écran de télévision géant, sur lequel défilent des clips musicaux en arabe, accroché au dessus de la cheminée qui fume… Face à moi, au mur, une icône. Mon regard avait déjà croisé, sur le seuil de la maison, la croix du Christ.
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Persécutés par Daech
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Si la famille Hadaya a quitté l'Irak en 2014, c'est précisément en raison de sa foi. Lorsque Daech est entré dans la ville de Bakhdida, au nord du pays, il ne faisait pas bon être Chrétiens. « Il y avait des pillages, nous étions persécutés, nous avions peur alors nous avons tout laissé pour partir », se souvient Alaa. Nous ? La grand-mère de 54 ans, Shama, en deuil de son mari ; Amer, son fils de 31 ans ; Alaa, sa fille de 28 ans, son mari Rony et leur petit garçon de 2 ans, Rawan ; Randy, 14 ans, dernier fils de Shama.
Ils fuient vers le Kurdistan irakien, en Turquie, où ils vivent pendant un an. « On voulait aller aux Etats-Unis ou en Europe. C'est la France qui a dit oui en premier. »
C'est que, dans l'Hexagone, un réseau s'active. « J'ai été sollicitée par un ami qui a monté une association d'accueil de Chrétiens d'Irak dans le Nord de la France, explique Nathalie Poupard, une habitante de Morogues. Cet ami était en lien avec un prêtre irakien qui est là-bas et qui prenait des risques énormes pour faire sortir des personnes en grand danger. Je lui ai proposé de trouver des amis dans le Berry qui pourraient recevoir et suivre dans leurs démarches des familles de réfugiés. Bref, de lancer un réseau d'entraide dans la région. En tout, nous avons été trois à recevoir par ce biais des membres de la famille Hadaya, entre Henrichemont, Menetou-Salon et Morogues. »
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Un casse-tête administratif
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La première rencontre entre la famille Poupard et la famille Hadaya se déroule le 5 août 2015. « On était très contents d'être là, rassurés. Mais après, je me suis dit : on va voir », se souvient Alaa, consciente des difficultés qui les attendent. Nathalie se rappelle d'eux « prêts à tout, ne parlant pas un mot de français, ni d'anglais... En bonne santé mais épuisés et complètement « parachutés ». Ils n'avaient jamais vu autant d'arbres de leur vie. Leur seule force venait du fait qu'ils restaient ensemble... »
Pendant un an et trois mois, les six Irakiens vivent dans une partie de la demeure des Poupard. Arrivés avec un visa touriste, ils ont ensuite demandé l'asile politique. Un véritable casse-tête, comme le décrit Nathalie : « Un travail à tiers temps car la région n'était pas du tout prête à ce genre de démarches et l'administration complètement perdue !!!
J'ai découvert tout un monde passionnant, où l'humain ne demande qu'à être réintroduit et où la bêtise formelle et la lourdeur y sont très à l'aise... » Elle évoque « des moments d'attente insupportables et des courses folles entre la préfecture, le commissariat de police, l'OFPRA (*), l'OFII (**), la CAF, Pôle Emploi et autres lieux de tortures ».
« J'ai été choquée par le fait que l'Etat faisait tout pour nous pousser à accueillir ces réfugiés et pas grand chose pour nous faciliter la tâche. J'y ai passé un temps fou et avoue avoir eu des journées pendant lesquelles j'ai vraiment craqué... Il était important pour moi à cette époque d'avoir des personnes en face de moi, humaines avant tout et pas trop procédurières... Je m'énervais facilement ! Il a été compliqué aussi de leur obtenir l'équivalence de leur permis irakien... Et de leur apprendre la conduite française !!! » Indispensable pour leur autonomie, surtout en milieu rural.
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« Le plus beau est l'amitié qui est née »
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Aujourd'hui, les enfants vont à l'école, les adultes poursuivent leur apprentissage de la langue française et cherchent du travail comme chauffeur, boulanger, trieur de pommes… « Le plus important, c'est d'apprendre très bien le français, insiste Alaa. Sinon, c'est difficile de trouver un travail. » L'avenir ? « On restera là, toujours, et peut-être qu'on visitera l'Irak quand ça ira mieux ! » imagine Amer.
Les liens tissés avec Nathalie semblent désormais indéfectibles : « C'est une femme formidable ! Elle nous a donné beaucoup d'amour. Et sa maison… avant, quand je la regardais, je voyais une vieille maison… maintenant, je vois une belle maison ! Tu comprends ? »
Pour Nathalie, « le plus beau est l'amitié qui est née ». « Ce sont devenus de grands amis qui font un peu partie de ma famille ! » Même si l'intégration dans un village comme Morogues n'a pas toujours été facile, elle souligne « le réseau de solidarité incroyable » que leur arrivée a déclenché : « Des bénévoles se sont manifestés pour leur donner des cours de français, les aider à s'installer ou à faire leurs démarches, à trouver des activités... »
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« La vocation des frontières, c'est d'être franchies »
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Il y a quelques jours encore, elle assurait qu'elle était prête à rouvrir sa porte à condition de souffler un peu… La saturation des structures d'accueil pour les migrants à Bourges ne lui a pas laissé beaucoup de répit ! La voilà déjà dans une nouvelle aventure, cette fois avec un jeune Albanais. Mais qu'est-ce qui, au fond d'elle, motive son action ? « J'ai la grande chance d'avoir une maison capable d'accueillir. Et ai eu une enfance pendant laquelle ça défilait pas mal à la maison... Je pense pouvoir dire que la vraie rencontre est l'essence même de ma vie. Humainement, il me semble impensable de ne pas accueillir quelqu'un dans le besoin si on a de quoi partager ! De plus, j'ai une foi profonde en un Père divin, profondément attentif à chacun d'entre nous, qui nous soutient dans ce genre de situation.
Je pense enfin que lorsque l'on a la chance de pouvoir aider et que l'on accepte de tenter l'aventure, on reçoit énormément ! Et il faut le dire à ceux que l'on accueille !!! Ils nous font grandir, nous ouvrent des horizons ! Merci à eux d'être capables de nous appeler au secours. La vie est une aventure à saisir. L'aventure de la rencontre, avec tout le risque qui va avec ! »
S'est-elle fixée des limites ou des conditions ? Par rapport au temps qu'elle accorde, par rapport à sa famille... « Non ! Je n'aime pas les limites. Elles sont comme des frontières... de notre esprit ! La vocation des frontières, c'est d'être franchies... repoussées. Je n'ai pas envie d'être limitée. C'est vrai que l'on me reproche de ne pas en avoir et de me laisser bouffer. Ce qui est important, à mon avis, c'est d'aller jusqu'au bout de son engagement avec sa propre conscience. Eux, ils arrivent en lâcher-prise total... On doit s'adapter autant qu'eux. Ils ne nous doivent rien. Nous sommes entièrement responsables d'eux. Du moins, moi !
L'objectif final est qu'ils retrouvent leur dignité et donc leur autonomie. Qu'ils ne soient plus assistés, ni par leur famille d'accueil, ni par l'Etat. »
Si elle devait donner des conseils à ceux et celles qui voudraient apporter leur aide, elle leur dirait « de ne pas trop se poser de questions avant, car il faut une part d'inconscience aussi pour se lancer dans une telle aventure. De se préparer un bon réseau d'aide. Et de ne jamais procrastiner ! »
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Bourges – marché de la Chancellerie, mercredi 8 novembre 2017, midi.
Le froid et le crachin n'effacent pas les sourires de Sébastien et Mimo (*). Lorsqu'ils me saluent, leurs souffles forment de petits nuages devant leurs lèvres. Avec deux autres membres du Codac (Collectif On Dort Au Chaud), ils viennent de passer deux heures à distribuer des tracts, dans les allées du marché de la Chancellerie, à Bourges, invitant ainsi commerçants, habitants du quartier et passants à une réunion d'informations sur la situation des migrants.
Nous nous abritons dans un café pour nous réchauffer et échanger sur le tandem que forment Sébastien et Mimo depuis quelques semaines. Le premier, presqque trentenaire, enseignant, vit dans la campagne environnante de Bourges ; le second, majeur depuis quelques mois, a parcouru des milliers de kilomètres depuis Alexandrie en Egypte, pour tenter sa chance en France. Scolarisé, il ne bénéficie toutefois pas d'un hébergement pérenne. Chaque jour, il doit appeler le 115 (**) et croiser les doigts pour dormir au chaud. Lorsque toutes les places sont déjà prises, il compose le numéro de Sébastien, qui vient alors le chercher et l'accueille chez lui.
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Un dispositif d'urgence saturé
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Le soir de leur rencontre, en septembre, ils ont passé beaucoup de temps à discuter et à remonter le fil de l'histoire de Mimo : fin 2015-début 2016, il décide de quitter l'Egypte.
Arrivé en Europe par l'Italie, il est envoyé à Paris puis à Bobigny, dans un centre d'accueil pour mineurs isolés étrangers. Orienté vers Bourges, il a été hébergé dans un foyer et scolarisé dans un lycée. Problème : « Depuis avril, je suis majeur. Je peux plus être au foyer », explique-t-il. Un ami l'a bien dépanné quelques temps, mais il a déménagé à Paris laissant Mimo à la rue. Car le jeune homme a bien dormi dehors certaines nuits, le dispositif du 115 étant régulièrement saturé à Bourges. Aujourd'hui, il alterne les nuits chez Sébastien et celles au 115. Formé en hôtellerie-restauration, il a reçu une promesse d'embauche d'un patron à Bourges. Mais il attend son autorisation de séjour.
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« Il n'y a pas d'amitié sans l'échange qui te change »
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Le tandem Sébastien-Mimo est intéressant. « Tandem », c'est un terme utilisé volontairement par Sébastien, qui refuse le rapport aidant-aidé. Pour la première fois dans tous les témoignages que j'ai lus ou recueillis, on ne me parle pas « devoir » ou « solidarité », on me parle « amitié », « interdépendance », « écologie sociale » et « politique ».
D'abord, instaurer une relation juste, horizontale. « Je ne veux pas seulement l'accueillir, explique Sébastien. J'ai envie d'être son ami. Pas son père, pas sa mère. Il n'y a pas de rapport hiérarchique entre nous. » Mais une interdépendance : « Il n'y a pas d'amitié sans l'échange qui te change. » Ainsi, Sébastien reconnaît les richesses, les forces de Mimo, tout comme Mimo reconnaît les siennes. « C'est la seule manière pour que l'accueil des migrants entre dans un projet de société. »
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Donner des clés pour choisir
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Pas question de déconnecter Mimo de la réalité de la situation en France. Sébastien lui permet de découvrir des milieux où on rêve à autre chose qu'une réussite économique à tout prix et où l'écologie – environnementale, sociale et politique – est pensée de manière générale. La question des migrations en fait d'ailleurs pleinement partie. Il est important que les migrants eux-mêmes s'en saisissent. « L'idée, c'est que Mimo ait des clés et qu'il fasse ensuite ses propres choix. »
Pour l'instant, lorsqu'on lui demande comment il voit son futur, il répond « vie ici » et « travail ». De son côté, Sébastien sait qu'il faudra continuer à « faire avec » l'arrivée de migrants. « J'ai envie de faire avec Mimo et avec ceux qui sont là. Je fais de l'écologie, donc ça dépasse la question des migrants : je pars de là où je suis, et là où je suis, il y a les migrants. » Ici et maintenant. Prendre conscience de sa réalité pour composer avec. Et avec l'autre. « Echanger, c'est être relié et comprendre pourquoi tu es relié. Et ça, c'est déjà de la politique. »
(*) OFPRA : Office Français de Protection des Réfugiés et Aapatrides.
(**) OFII : Office Français de l'Immigration et de l'Intégration
(***) prénoms d'emprunt à la demande des personnes interviewées.
(****) Le 115 est un numéro d'urgence à composer si une personne est sans possibilité d'hébergement et risque ainsi de dormir dans la rue. Le dispositif est confié à des associations qui répondent à un appel d'offres lancé par l’État. A Bourges, il s'agit du Relais. Son rôle est celui de veille et de gestion des places d'urgence.