L'immigration est un sujet de plus en plus sensible. Face aux journalistes, aux associations humanitaires ou aux citoyens qui s'intéressent aux réfugiés, l'Etat français durcit le ton. Exemples ces derniers jours...
Reportage sur les migrants près de Briançon : une journaliste interpellée
Samedi 11 novembre, Caroline Christinaz, envoyée spéciale du très renommé journal suisse Le Temps, a été arrêtée par la gendarmerie à Val-des-Prés, un village de la région de Briançon (Hautes-Alpes).
Elle réalisait un reportage sur le passage clandestin de migrants à la frontière avec l'Italie, au col de l'Echelle (1.762 mètres d'altitude). Elle avait pris place dans le véhicule d'un habitant qui avait recueilli le long de la route de jeunes migrants transis de froid. Devant eux, un autre véhicule avec à son bord un journaliste de France Culture, Raphaël Krafft, arrêté également.
Laissée libre mais convoquée le lendemain à la gendarmerie, Caroline Christinaz a été interrogée pendant deux heures, photographiée et ses empreintes digitales relevées. Elle raconte : « Après une heure de questions sur les faits de la veille, les gendarmes m’ont interrogée sur ma vie privée, puis sur mon loyer, mon salaire, mes numéros et soldes bancaires, ma situation fiscale et patrimoniale. Ils m’ont dit vouloir connaître mes capacités financières pour établir le montant de l’amende. » (*) Sous la pression, elle a donné aux gendarmes son téléphone portable et le code d'accès. Elle serait « mise en cause dans une procédure pour aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irrégulier d’étrangers sur le territoire français ».
Son confrère n'a été entendu qu'en qualité de témoin. Son reportage a été diffusé sur France Culture le vendredi 17 novembre. Il met notamment l'accent sur les jeunes mineurs isolés livrés à eux-mêmes dans la montagne, par des températures négatives (**).
(*) Caroline Christinaz a publié son histoire dans les colonnes du Temps daté du lundi 13 novembre : https://www.letemps.ch/monde/2017/11/13/une-journaliste-temps-interrogee-police-briancon?utm_source=facebook&utm_medium=share&utm_campaign=article
(**) Quand les mineurs africains sont abandonnés dans la montagne : https://www.franceculture.fr/emissions/le-magazine-de-la-redaction/quand-les-mineurs-africains-sont-abandonnes-dans-la-montagne
Un triste anniversaire
Il y a un an, le 10 novembre 2016, était inauguré le centre de premier accueil de Paris. Ceux qui le défendent l'appellent « centre humanitaire » ; ceux qui le dénoncent « camp Hidalgo ».
Les objectifs affichés : accueillir les migrants de manière inconditionnelle, pour leur permettre de prendre du repos, éventuellement d'être soignés, avant d'être orientés vers d'autres structures, notamment en région. A l'époque, il s'agissait surtout pour la mairie de Paris de nettoyer le quartier de La Chapelle, où des campements sauvages s'étaient improvisés faute de places dans les centres gérés par l’État.
Mais un an plus tard, le problème n'est visiblement toujours pas réglé. Accompagnée de Timothy Perkins, militant pour la cause des migrants (*), je me suis rendue Porte de La Chapelle le lundi 16 octobre dernier. Tout autour du « camp Hidalgo », se sont reformés des embryons de campements sauvages. Les persécutions systématiques de la police les poussent vers le périphérique ou, au contraire, plus près de villes comme Saint-Ouen. Partout, des traces d'abris de fortune à peine dissimulés derrière des poubelles, des barraquements de chantier ou des fourrés. « Ils arrivent le soir vers 20 heures et ils s'en vont vers 8 heures le lendemain matin », explique Timothy Perkins.
Pourquoi ne sont-ils pas hébergés dans le « camp Hidalgo » ? Aménagé dans un ancien bâtiment de la SNCF (10.000 m² sur deux niveaux), celui-ci a été prévu pour 400 personnes mais s'est retrouvé rapidement saturé. En août, 2.700 migrants ont été expulsés de campements sauvages alentour, ce qui en dit long sur l'ampleur des besoins !
Selon la mairie de Paris, il s'agit d'un problème de « fluidité » : les places dans le camp ne peuvent pas être libérées assez rapidement, faute de places dans les structures devant prendre le relais. C'est pourquoi, elle a demandé l'ouverture d'autres centres similaires (lire l'article ci-dessous : « Immigration : les « plans » vraiment pas bons d'Emmanuel Macron »).
Mais il existe d'autres problèmes : début septembre, Médecins Sans Frontières annonçait son retrait du camp, suivi par l'association Utopia 56. Dans un communiqué, ses représentants ont dénoncé l'« ingérence négative de l'Etat », des « migrants piégés », la « traque des réfugiés organisée depuis peu par la police aux abords des bâtiments ». Selon eux, « le traitement administratif des arrivants n'a rien d'humanitaire ».
L'ACAT, Organisation Non Gouvernementale chrétienne contre la torture et la peine de mort, avait effectué une mission d'observation aux abords du camp en juin dernier. Ses conclusions sont tout aussi accablantes…(**)
Depuis le début, la gestion du camp est assurée par Emmaüs Solidarité qui fournit 117 salariés aidés par des bénévoles. Mais dans ses rangs aussi, des objections commencent à se faire entendre…
Dans tous les cas, l'avenir du centre devra être bientôt rediscuté, le site devant être rendu à la fin du mois de mars 2018 pour la construction du campus Condorcet.
(*) Lire le numéro 6 de (Re)bonds (onglet Archives en haut à droite du menu ; rubrique (Ré)acteurs).
(**) Lire le rapport sur le site de l'ACAT : http://www.acatfrance.fr/actualite/resultats-de-lobservation-du-centre-de-premier-accueil-de-porte-de-la-chapelle
Le Défenseur des droits saisi pour un centre d'accueil dans l'Yonne
Le numéro 6 de (Re)bonds mettait un coup de projecteur sur le PRAHDA du Subdray, près de Bourges. Mais nos voisins bourguignons ont un centre de rétention qui vaut aussi l'indignation…
Jacques Toubon, le Défenseur des droits, a été saisi par un militant et des migrants au sujet de la situation du Centre d'Accueil et d'Orientation (CAO) situé à Jaulges dans l'Yonne (Bourgogne). Dans un courrier daté du jeudi 5 octobre 2017, ils dénoncent « des conditions de vie souvent trop contraires à la charte de fonctionnement des centres d'accueil et d'orientation - CAO » et « un isolement qui est extrêmement similaire à de l'incarcération ».
Ouvert à la fin de l'année 2016 dans un ancien site militaire, le CAO de Jaulges regroupe des migrants qui débarquent du centre de premier accueil situé Porte de la Chapelle à Paris. La plupart sont dits « dublinés » c'est-à-dire susceptibles d'être rapidement expulsés vers l'Italie ou l'Allemagne. Aucun commerce à moins de douze kilomètres à la ronde, pas de transport public, une connexion Internet insuffisante…
Les signataires du courrier dénoncent également l'absence d'information et d'accompagnement juridique, ainsi que le refus de la direction de laisser entrer des associations pour les aider. « Seuls quelques bénévoles individuels bien « surveillés » viennent donner des cours de français deux fois par semaine », écrivent-ils. Ils parlent de problèmes de santé et de sécurité graves. Photographies à l'appui, ils affirment que les installations sont totalement inadaptées à l'accueil de 133 personnes.
Que deviennent-elles ensuite ? « Un grand nombre de résidents « dublinés » de ce CAO arrivent désormais au PRAHDA (*) d'Appoigny, dans l'Yonne, ouvert au mois de juillet 2017. Alors que Jaulges est maintenu dans un isolement voulu par le CAO, le PRAHDA d'Appoigny donne accès aux agents de la préfecture et de la gendarmerie. Lorsqu'ils arrivent, leurs convocations de la préfecture sont déjà prêtes. Ils reçoivent souvent avec leurs arrêtés de transfert, leurs laissez-passer et billets d'avion et ils sont assignés à résidence. Tout cela dans une période d'à peine deux à quatre semaines. On comprend que le CAO de Jaulges fonctionne comme une antichambre du PRAHDA d'Appoigny, qui lui-même est une sorte de centre de rétention administrative en attente d'une reconduite vers le pays européen de réadmission où les conditions de vie sont particulièrement précaires et où ils craignent, au mieux d'être laissés sans assistance, au pire d'être purement et simplement déportés dans leur pays d'origine malgré les menaces de mort ou autres dangers qui les ont fait fuir. »
Leur demande est claire : que le Défenseur des droits mette fin à la situation du CAO de Jaulges. Pour l'instant, il a accusé réception de la lettre...
Un article sur la situation du camp vient de paraître sur le site BuzzFeed : https://www.buzzfeed.com/theoenglebert/isolement-surveillance-tuberculose-la-gestion-douteuse-dun?utm_term=.ang8kV5bj#.lmVyNLDX9
(*) Lire le numéro 6 de (Re)bonds (onglet Archives en haut à droite du menu).
Immigration : les « plans » vraiment pas bons d'Emmanuel Macron
« D'ici à la fin de l'année, je ne veux plus personne dans les rues, dans les bois (…). La première bataille : loger tout le monde dignement. Je veux partout des hébergements d'urgence. Je ne veux plus de femmes et d'hommes dans les rues. » Lorsqu'on arpente celles de la capitale, les zones d'activités autour de Calais ou encore la campagne environnante de Nice, on se demande bien comment le président français Emmanuel Macron compte s'y prendre pour faire de ses désirs – « je ne veux plus », « je veux » – des réalités. Surtout d'ici à la fin de 2017, c'est-à-dire dans un mois et demi…
Déjà, en l'entendant prononcer ces mots, le jeudi 27 juillet lors d'un déplacement à Orléans, journalistes et responsables d'associations humanitaires étaient pour le moins perplexes : pour réaliser ses objectifs, le président n'annonçait aucun moyen supplémentaire par rapport au plan immigration présenté quinze jours auparavant, alors que les structures d'accueil et d'orientation (notamment des migrants mais des sans abris en général) sont totalement saturées (*).
Le durcissement de la politique d'expulsion
Pour faire place nette dans les rues, rien de tel que d'accélérer les « mesures d'éloignement » en jargon administratif, les expulsions du territoire en vrai français, les déportations en langage engagé. « Il y a fort à craindre que le gouvernement associe l’hébergement des personnes au durcissement de la politique d’expulsion, assumant le dévoiement du droit à l’hébergement à des fins d’éloignement », s’inquiètait ainsi Jean-Claude Mas, secrétaire général de la Cimade (**).
Le mercredi 12 juillet, lors de l'annonce du nouveau plan immigration, le premier ministre Edouard Philippe avait bien prévenu que les migrants relevant de la procédure Dublin (***) devaient « faire l'objet d'une attention particulière »... Ils sont ainsi renvoyés beaucoup plus rapidement en Italie et en Allemagne. Problème : ils reviennent, les deux voisins européens ne sachant plus qu'en faire… ! Ils dorment à nouveau sur le trottoir, grossissent les camps sauvages à Paris et vivent dans des conditions indignes de notre humanité.
Construire de nouveaux centres d'accueil : pour quoi faire ?
Solution évoquée par l'entourage du président : construire de nouveaux centres d'accueil en région (comme l'avait suggéré la maire de Paris, Anne Hidalgo, pour prendre le relais de celui qu'elle a installé Porte de la Chapelle). Ce qui revient à en construire ou aménager treize en métropole d'ici à la fin décembre. Où ? Avec quels fonds ? Quelle gestion ? Et surtout, au final, dans quel but ? Mystère...
Un exemple : le jeudi 13 octobre dernier, le Centre d'Accueil et d'Examen des Situations (CAES) d'Ile-de-France a ouvert ses portes dans une ancienne patinoire de la ville de Cergy. Il peut accueillir 200 hommes célibataires. L'opérateur du site est Espérer 95. Lors de son inauguration, le chauffage n'avait pas encore été installé...
Un tri directement en Afrique et au Moyen-Orient
Troisième piste évoquée clairement par Emmanuel Macron, cette fois le lundi 9 octobre : une coopération plus étroite avec les pays d'où viennent les migrants. Sur les deux prochaines années, la France s'engage ainsi à ouvrir 10.000 places pour des réfugiés se trouvant au Tchad, en Turquie, au Liban et en Jordanie (****).
Mais attention : cela ne concerne pas les Tchadiens, les Turques, les Libanais ou les Jordaniens. L'administration française est plus subtile : il s'agit de migrants installés dans ces pays (par exemple, un Palestinien en Jordanie) et déjà protégés par le Haut-Commissariat aux réfugiés. Ils pourraient voir leur demande d'asile instruite avant leur arrivée en France. Ils seraient alors certains de venir légalement.
Avantage pour la France ? Plus besoin de payer pour expulser les migrants de chez nous : on les trie au départ, c'est moins fastidieux et moins coûteux… Et on exerce ainsi sans le dire, à l'abri des regards, une politique d'immigration sur la base de quotas et non plus sur l'inconditionnalité de l'accueil… On prend ce dont on a besoin ou envie (des métiers en particularité, des couleurs, des religions…), sans tenir compte de la véritable urgence humanitaire.
Pour les migrants ? Le gouvernement français assure qu'ainsi, ils ne risqueront plus leur vie sur la Méditerranée. C'est vraiment mal connaître la détresse de ceux et celles qui seront débouté.e.s et qui, une fois leurs dossiers rejetés, tenteront quand même la traversée…
(*) Le mercredi 12 juillet, le premier ministre Edouard Philippe annonçait le plan immigration du gouvernement Macron comprenant, notamment, la création de 4.000 nouvelles places d'hébergement en 2018 et 3.500 en 2019.
(**) La Cimade est une association de soutien aux migrants : www.lacimade.org
(***) Le règlement Dublin est un règlement européen ; il s'applique aux 28 pays membres ainsi qu'à la Suisse, le Lichtenstein, l'Islande et la Norvège. Le principe clé est qu'un seul pays européen est responsable de la demande d'asile d'une personne ressortissante d'un pays tiers (c'est-à-dire hors Union européenne). Plus de renseignements sur : http://www.stopdublin.fr/
(****) Au départ, la Lybie était également annoncée mais l'Elysée a finalement décidé qu'étant donné la situation sur place, ce n'était pas une bonne idée…