Lettre des migrants à la préfète du Cher : « Nos vies sont entre vos mains »
« Nos vies sont entre vos mains. » L'appel au secours ne peut pas être plus clair. Pourtant, il ne semble pas avoir été entendu… Lundi 27 novembre, à 14 heures, une délégation de migrants vivant au Prahda (*) du Subdray et de membres du Codac (**) ont été reçus, à leur demande, par la préfète du Cher, Catherine Ferrier. Ils sont repartis déçus.
Leur objectif était de sensibiliser la représentante de l’État au non-respect de leurs droits. Droit à obtenir de la considération, comme on pourrait l'exiger d'un pays qui s'est auto-proclamé des Droits de l'Homme. Droit à bénéficier d'un accompagnement juridique, comme l'exige la loi. Droit à ne pas être expulsés là où les attendent privations, tortures, exploitations en tous genres, mort… comme l'exige simplement le bon sens.
Quelques jours auparavant, les migrants à l'initiative de cette démarche, accompagnés par le Codac, avaient invité les habitants de Bourges à les soutenir, via Internet. Ils leur proposaient de les rejoindre lundi matin, sur le parking du Prahda, et de parcourir avec eux, à pied, les huit kilomètres qui les séparent du centre-ville. Au total, une soixantaine de personnes ont participé à cette marche avant de prendre place devant les grilles de la préfecture, déroulant des banderoles et scandant des slogans tels que « No Dublin » (***).
Le problème principal : la procédure Dublin
Car le problème principal, pour ces demandeurs d'asile, c'est la procédure dite « Dublin », du nom d'un règlement européen. Il stipule qu'un seul pays de l'Union européenne peut être responsable de la demande d'asile d'un migrant. Problème : les migrants qui débarquent ne connaissent pas les procédures. Lorsqu'en Italie, on leur intime de donner leurs empreintes, ils croient à une précaution de sécurité. De nombreux récits attestent d'ailleurs que la police italienne leur ment à ce sujet. Les conséquences sont dramatiques : une fois arrivés en France, on leur signifie qu'ils sont « dublinés », en clair, qu'ils seront expulsés vers l'Italie ou l'Allemagne, parce que c'est là-bas qu'ils ont déposé leurs empreintes et donc là-bas, qu'ils doivent trouver asile. Il existe des recours, mais, sans accompagnement juridique, ils sont très difficiles à faire valoir correctement.
Or, l'Italie, débordée, ne s'occupe pas de tous les migrants qui finissent par dormir dans la rue, n'ont pas de quoi manger ou se vêtir, et tombent parfois aux mains de réseaux mafieux. Alors, ils reviennent en France… Souvent à pied, souvent en passant par la montagne, dans un froid épouvantable auquel ils n'ont jamais été préparés… Un cauchemar. Une torture. Pour rien.
Pas de réponse satisfaisante de la préfète
Lundi 27 novembre, comme une annonce, un vent froid, mordant, s'est abattu sur le groupe de manifestants. Durant une heure, ils ont attendu que la préfète reçoivent la délégation. Dans la sono apportée par les membres du Codac, les slogans n'ont pas faibli. Les migrants ont pris la parole à tour de rôle, en français, anglais, arabe, pour exprimer leurs craintes, leurs exaspérations, leurs espoirs aussi… Ils ont également échangé avec les habitants présents, profitant de ce rare contact pour simplement discuter ou pour tenter de faire le point sur leur situation personnelle. Enfin, ils ont pu être interviewés par des journalistes de France Bleu Berry et France 3.
Après une heure d'entretien, la délégation est ressortie déçue. Un membre du Codac résume : « La préfète nous a écouté. Mais elle se contente de répéter qu'elle ne fait qu'appliquer la loi et qu'elle n'a pas le pouvoir de repasser les « Dublinés » en procédure normale. » Il semble pourtant que d'autres préfectures adoptent des comportements différents, comme à Nantes, par exemple.
Prochaine étape ? Le Codac et les demandeurs d'asile qui ont souhaité le rejoindre ne veulent pas baisser les bras. Ils continuent de se réunir pour améliorer l'information et l'accompagnement juridique des migrants dans le département, ainsi que pour préparer de nouvelles actions notamment auprès du public.
(*) Prahda : Programme d'aide et d'hérbergement aux demandeurs d'asile. Anciens hôtels transformés en centres d'hébergement, regroupant des demandeurs d'asile pour la plupart, « dublinés ». Pour le Cher, il est situé au Subdray.
(**) Collectif On Dort Au Chaud, collectif d'habitants de Bourges et du Cher venant en aide aux migrants.
(***) Pas de procédure Dublin.
Lettre à la préfète
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Madame la Préfète,
les migrations sont un phénomène que toutes les sociétés humaines ont expérimenté à un moment de leur histoire. Nous sommes poussés à émigrer à cause d'injustices, de conflits armés, d'arrestations arbitraires et de meurtres commis par des dictateurs dans nos pays d'origine.
Vous avez également pu vous rendre compte des séquestrations, de la torture et de l'esclavage subis par les réfugiés en Libye. Nous avons tous vu et vécu ces violences qui nous marquent encore.
Ce sont ces violences qui nous ont poussés à embarquer dans « les bateaux de la mort » dans l'espoir d'atteindre l'Europe par l'Italie. Arrivés là-bas, on nous a forcé à donner nos empreintes, sans jamais nous expliquer les conséquences liées à la procédure Dublin.
Ce fut un soulagement d'arriver en France, car c'est le pays des droits de l'homme ainsi qu'une terre d'acuueil.
Mais nous sommes choqués de constater le traitement qui nous est réservé, particulièrement au Prahda du Subdray. Nous avons le sentiment que nous ne sommes toujours pas reconnus comme réfugiés. On nous isole du reste de la société, comme des criminels qu'on voudrait punir.
Il semble que la région Centre soit un lieu de passage pour beaucoup de réfugiés, mais aussi l'un des endroits où le plus de demandeurs d'asile sont expulsés.A cause de la situation au Prahda, nous souffrons de troubles psychologiques. Nous ne sommes pas non plus en mesure de nous faire soigner convenablement, alors que beaucoup portent des séquelles de tortures en Libye et ailleurs. Nous avons de grandes difficultés à nous nourrir. Nous sommes également privés d'informations primordiales, et nous ne bénéficions d'aucun accompagnement juridique, pourtant nécessaire pour nous défendre. Enfin, nous sommes privés de la possibilité d'apprendre le français, même pour ceux d'entre nous en procédure normale.
Jour après jour, des camarades sont assignés à résidence. Ils doivent alors aller pointer au commissariat de Bourges chaque matin, parfois jusqu'à 90 jours. Puis un jour, ils sont menottés et mis dans un avion contre leur gré. Ces avions les conduisent, pour la plupart, en Italie. Mais ce pays n'a rien à offrir aux réfugiés.
Les demandeurs d'asile y sont en effet abandonnés, se retrouvent sans logement ni moyen de se nourrir. Des articles de presse relatent comment des migrants africains y sont exploités dans les champs par des réseaux mafieux.C'est également l'Italie qui verse de l'argent aux forces libyennes, selon les accords italo-libyens. Cet argent sert à empêcher les migrants de tenter de rejoindre l'Europe. Mais les camps de rétention libyens où se pratiquent l'esclavage, la torture et le meurtre ne sont pas sans rapport avec cette politique européenne.
La procédure Dublin est une loi injuste. Elle nous déshumanise et provoque de graves vioences dans nos vies, à un moment où nous espérions trouver la paix. En tant que préfète, la possibilité vous est offerte de ne pas l'appliquer. Nous désirons tous pouvoir exercer notre demande d'asile en France selon la procédure « normale ». Nous souhaitons également que cessent dès à présent les assignations à résidence.
Nos vies sont entre vos mains.
Je vous prie de croire, Madame la Préfère, en l'assurance de nos respectueuses sallutations.
Les migrants dublinés du Prahda et de Bourges
Le Codac invite habitants et migrants à former des tandems
Le Codac (Collectif On Dort Au Chaud) est né à Bourges il y a un an, avec l'arrivée de migrants expulsés de la jungle de Calais. Constitué d'abord, en majorité, d'habitants de Bourges, il élargit progressivement son cercle et ses actions. Aujourd'hui, il ne veille plus seulement à ce que les migrants ne dorment pas dans la rue, mais il organise une lutte pérenne, avec la participation des migrants eux-mêmes.
Une première réunion publique avait eu lieu à la Maison des associations de Bourges, le mardi 19 septembre. Des demandeurs d'asile hébergés au Prahda du Subdray - un ancien hôtel transformé en lieu d'attente avant expulsion - étaient venus témoigner des conditions indignes dans lesquelles on les maintient (Lire le numéro 6 de (Re)bonds dans Archives, onglet en haut à droite du menu). Si la soirée avait été riche en informations et en émotions, elle n'avait toutefois pas permis aux habitants présents d'envisager comment aider les migrants. C'est pourquoi, une nouvelle réunion était organisée il y a quelques jours, le jeudi 16 novembre, dans un local jouxtant la nouvelle Biocoop, 121 boulevard de l'Avenir à Bourges.
Faire partie intégrante du collectif
Une quarantaine de personnes étaient présentes, parmi lesquelles quatorze demandeurs d'asile en majorité vivant au Prahda. Ce second rendez-vous était mieux préparé que le premier : après une brève présentation du contexte international, national et local par un membre du Codac, quelques demandeurs d'asile, parfois notes à la main, se sont exprimés sur leurs problèmes actuels : leur statut de Dublinés (*), leur isolement par rapport à la population locale, les problèmes de santé et de malnutrition au Prahda, les difficultés de communication avec les travailleurs sociaux...
Ils ont décidé de saisir la main que leur tendent les membres du Codac.« Faire partie d'un collectif permet d'être moins isolé », assure l'un d'eux. Car il s'agit précisément de cela : faire partie intégrante du collectif. L'organisation présentée après les témoignages est claire : les migrants qui le souhaitent participeront à des groupes de travail avec les habitants. L'objectif : « ne pas faire à leur place mais avec eux », souligne un membre du Codac, afin de créer une relation juste. Les migrants pourront ainsi alerter sur leurs urgences, tout en participant à la mise en place des solutions les plus adaptées.
Des commissions pour réfléchir et agir
Jeudi, des commissions, ouvertes à tous et à toutes, ont été présentées : organisation de tandems, création de rendez-vous hebdomadaires ou d'événements ponctuels pour sensibiliser la population, documentation, réseautage, aide matérielle, trésorerie, pôle juridique... L'une des idées les plus intéressantes est la constitution de tandems. L'objectif ? Instaurer une relation privilégiée entre un membre du collectif et un migrant, vivant au Prahda ou non. Les échanges sont facilités, les problèmes pris en compte plus efficacement. Exemples d'actions possibles : scanner des documents et les envoyer aux associations compétentes pour faire avancer les demandes d'asile ou les recours ; faire visiter des lieux de Bourges utiles (comme la médiathèque pour l'accès à des ordinateurs, les migrants n'ayant pas tous Internet, pourtant essentiel à leurs démarches) ; accueillir chez soi ponctuellement ; accompagner chez le médecin ou à l'hôpital (les travailleurs sociaux n'assurant pas ce rôle) ; etc...
Bémol à cette belle idée : la majorité des migrants vivant au Prahda sont arabophones. Comment communiquer ? Le Codac est d'ores et déjà allé à la rencontre d'habitants de Bourges issus des précédentes vagues d'immigration pour les inviter à s'engager.
Les personnes présentes à la réunion ont pu s'inscrire dans les différentes commissions. Rendez-vous dans un mois pour partager les premiers fruits de leur travail.
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