Son nom est associé à un journalisme exigeant, engagé, opiniâtre. Inès Léraud était présente à Melle le dimanche 26 mars lors du rassemblement contre les méga-bassines, pour témoigner des liens entre industrie, agriculture et ravages écologiques et sanitaires. Depuis des années, elle enquête en eaux troubles. La bande dessinée « Algues vertes, l’histoire interdite » lui a valu des prix mais aussi de graves pressions et menaces…
« Chaque année, de mai à septembre, avec les beaux jours, des milliers de tonnes d’algues vertes envahissent les plages du littoral breton. » C’est ainsi qu’Inès Léraud et Pierre Van Hove débutent leur récit. Par un fait qui pourrait paraître anodin : des algues charriées par la mer, échouées sur une plage. Pourtant, le cavalier qui se promène là en ce mois de juillet, à Saint-Michel-en-Grèves dans les Côtes-d’Armor, va bientôt faire un malaise et son cheval mourir. Tous deux sont victimes d’un gaz ultratoxique qui se forme lors de la putréfaction des algues : l’hydrogène sulfuré ou H2S. « Libéré en quantité importante, il anesthésie le nerf olfactif (ce qui le rend indétectable), paralyse le système nerveux et respiratoire... et tue aussi rapidement que du cyanure. »
Dès les années 1980, des lanceurs d’alerte tels que Pierre Philippe, médecin urgentiste à l’hôpital de Lannion, ont prévenu les autorités sanitaires de ce phénomène extrêmement dangereux pour les usager·es des plages. Pourtant, les accidents mortels se sont multipliés sans que l’Etat ou les collectivités locales ne prennent de dispositions conséquentes. Pourquoi ?
Dans son enquête au long court (quatre ans), la journaliste montre les liens qui unissent les élu·es, les agriculteur·ices, les coopératives, les chambres consulaires, les industriel·les… Tous·tes tentent de dissimuler ou de minimiser les pollutions que provoquent les élevages intensifs bretons, notamment les élevages porcins. Les un·es veulent préserver la belle image de leur région pour ne pas faire fuir les touristes ; les autres veulent continuer à produire comme iels le font depuis les années 1960, par conviction ou par obligation, piégé·es par le système agro-industriel. Dans tous les cas, la logique économique prime sur la protection de l’environnement et des vies.
Originaire de Saumur, vivant ensuite à Paris, Inès Léraud s’est installée en Centre Bretagne en 2015 pour mener ses investigations. Ayant étudié à la Fémis et à l’école Louis Lumière (1), c’est d’abord par le son qu’elle a commencé à travailler : elle a réalisé des documentaires pour France Inter, Arte Radio et, de 2016 à 2018, a diffusé sur France Culture « Journal breton », une série relatant son quotidien dans l’une des premières régions agro-alimentaires de France (2). Membre du comité éditorial de Disclose, elle a aussi co-fondé Splann ! un média d’enquête breton, régional et bilingue (3).
A l’automne 2017, une partie de son travail mené sur les algues vertes a été adaptée en bande dessinée, avec Pierre Van Hove, et publiée dans « La Revue Dessinée ». La version complète est parue en 2019 sous forme d’album. Elle a reçu le prix du livre de journalisme, le prix de la bande dessinée bretonne, le prix de la BD sociale et historique, et le prix Mémoire de la mer. En 2021, Inès Léraud a aussi reçu, pour l'ensemble de son travail, le prix éthique de l’association Anticor qui lutte contre la corruption dans la vie publique.
A l’inverse, deux procès lui ont été intentés par des membres de l’agro-industrie bretonne pour diffamation. Les poursuites ont finalement été abandonnées. Mais le message était clair : n’enquêtez pas sur l’agro-industrie ! Et ce n’est pas la seule à l’avoir reçu : dans la nuit du 23 au 24 mars dernier, Morgan Large, journaliste pour Kreizh Breizh et Splann !, a vécu pour la deuxième fois un sabotage de sa voiture. Elle aussi enquête sur les problèmes environnementaux provoqués par l’agro-industrie (4).
Grâce à ces journalistes, des enquêtes judiciaires sont menées, des consciences s’ouvrent, des citoyen·nes exigent des changements… Elles contribuent à briser l’omerta qui entoure des questions qui nous concernent tous·tes, pour notre santé et pour la préservation du vivant.
« Algues vertes, l’histoire interdite » est disponible en librairie. Plus d’informations sur le site de La Revue Dessinée : https://www.larevuedessinee.fr/
F.L.
(1) Fémis : https://www.femis.fr/
Ecole Louis-Lumière : https://www.ens-louis-lumiere.fr/
(2) Journal breton : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-journal-breton-saison-1
(4) https://www.ouest-france.fr/bretagne/guingamp-22200/morgan-large-journaliste-bretonne-victime-dintimidation-souhaite-un-geste-fort-de-letat-7aad7138-cfab-11ed-a10f-5958f611860a