« Il sait bien des tours, le renard. Le hérisson n'en connaît qu'un, mais il est de taille. » Archiloque, VIIe siècle avant J.-C.
Je n'en ai jamais vu d'aussi près et, immédiatement, je suis saisie : non seulement leurs têtes s'apparentent à des visages – avec des caractéristiques physiques et des expressions bien différentes d'un individu à l'autre – mais ils ont aussi un véritable tempérament.
Comme tous les animaux, sans aucun doute. Sauf qu'avec les hérissons, quelques secondes suffisent à le comprendre.
Lorsqu'on l'approche, Nando, gueule blanche et cercles noirs autour des yeux, crache et se roule en boule. Naski, coiffe longue et corps fin, est affectueuse et lèche la main qui la nourrit. Nooki, au museau vraiment pointu, est du genre excitée, à faire la fête le jour alors qu'elle devrait dormir. D'autres sont timides, grincheux, malicieux…
Je les ai rencontrés au centre de soins d'Atoupic, à Massay près de Vierzon. Un centre exclusivement consacré aux hérissons, ce qui en fait un cas unique en région Centre (*). Pourquoi ont-ils besoin d'être soignés ? Parce que, s'ils jouissent d'un véritable capital sympathie auprès des êtres humains, ils sont victimes de leurs activités : circulation routière, tonte, produits chimiques qui réduisent leur garde-manger ou les empoisonnent directement…
Depuis 2009, Anne Dupuy leur vient en aide. Fondatrice et présidente de l'association Atoupic, elle est aussi responsable du centre de soins qu'elle a créé chez elle, à Massay. Bénévolement. Un engagement qui lui coûte argent, temps et énergie mais qui, pour elle, n'a pas de prix.
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Une véritable infirmerie
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Massay - mercredi 18 octobre 2017, 10 heures.
Au lieu-dit Provenchères, une belle longère en pierres. Un jardin, des arbres. Et… un grand chalet en bois tout neuf.
Depuis le mois de juillet, il abrite l'infirmerie du centre de soins d'Atoupic. « Avant, c'était dans ma maison. Les enfants sont partis, j'utilisais l'espace libre au premier étage, explique Anne Dupuy. Mais ce n'était pas fonctionnel. » Le chalet est spacieux et chaleureux.
Ce matin-là, sept petits patients sont présents. Ils dorment, le hérisson étant un animal crépusculaire. Chacun d'eux bénéficie d'un parc d'un mètre carré, avec une caisse lui servant de nid, une gamelle de nourriture et une d'eau.
Anne Dupuy les pèse, avant de renouveler leurs couches (du papier journal recyclé). Elle est très attentive : leur poid et leurs selles en disent long sur leur état de santé. Par exemple, petite inquiétude pour Nimba : elle a maigri et la couleur de ses selles sont anormales. Les hérissons souffrent souvent de problèmes intestinaux qui peuvent leur être fatals. « C'est lié à la raréfaction de leur nourriture, à cause des insecticides, souligne Anne Dupuy. Ils se rabattent sur des escargots par exemple, mais ils sont chargés de parasites qui colonisent leurs intestins. »
Insectivores, les hérissons sont aussi « omnivores opportunistes ». Autrement dit, s'il n'y a plus assez d'insectes sur leur territoire, ils peuvent manger oisillons, crapauds, fruits, légumes. Les êtres humains qui leur servent pain et lait se trompent : « Le lait est mortel pour les hérissons. Ils n'ont pas les enzymes pour le digérer. Ils ne supportent que celui de leur mère. »
En été, lorsqu'ils n'ont vraiment plus rien à se mettre sous la dent ou plus de haies où s'abriter, ils se risquent à découvert. C'est ainsi que les mouches fondent sur eux, pondent leurs œufs et laissent leurs larves les dévorer vivants…
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Des dangers liés à l'activité humaine
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Une fois sa tâche accomplie à l'infirmerie, Anne Dupuy s'occupe des parcs extérieurs.
Un espace grillagé pour éviter les prédateurs – « blaireaux, renards, chiens errants » – entoure des enclos individuels qui comprennent là aussi, une petite cabane pour reproduire le nid et des gamelles pour se nourrir. Y résident ceux qui ont quitté l'infirmerie et ont besoin d'être ré-acclimatés avant d'être relâchés dans la nature.
Armés de gants et de rouleaux de papier toilette, nous partons à la recherche des petites crottes. Une missions essentielle ! Ici aussi, il s'agit de ne pas laisser les parasites infester les parcs. Dans la nature, le terrain de jeu d'un hérisson est d'un à cinq hectares pour une femelle et jusqu'à dix hectares pour un mâle ! Dans un espace confiné, le soigneur doit être vigilant.
Tous les hérissons qui pouvaient l'être ont été relâchés avant l'hiver. « Certains ne le seront jamais : les handicapés. » Tic boite et ne se met plus en boule, ce qui, dans la nature, le rend totalement vulnérable. Jumbé est un grand brûlé, rescapé d'un tas de feuilles auquel un jardinier avait mis le feu : ses piquants ne repoussent pas. Lalie a été mordue par un chien : une perforation nasale rend sa respiration et donc ses déplacements compliqués. Kenji est aveugle de naissance : il a été trouvé alors qu'il tournait en rond sur une route…
En captivité, l'espérance de vie d'un hérisson est d'environ huit ans. Dans la nature, seulement de trois ! Les dangers sont devenus trop nombreux : « Les prédateurs, les voitures, les accidents domestiques, le jardinage, les pesticides, les insecticides, les tue-limaces… », énumère Anne Dupuy.
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Un manque de données chiffrées
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En France, le hérisson est une espèce protégée depuis l'arrêté du 17 avril 1981, qui stipule qu'il est interdit de le détruire (certains le chassent et le mangent), le transporter, le naturaliser, le mettre en vente. Les contrevenants risquent une amende pouvant aller jusqu'à 15.000 euros et la confiscation de leur matériel comme des armes, un véhicule... (**).
Pour autant, l'Erinaceus europaeus (hérisson d'Europe) n'est classé qu'en « préoccupation mineure » par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). « Les effectifs ne sont pas considérés en danger, confirme Anne Dupuy. Mais il n'existe aucune étude chiffrée en France ! »
En Grande-Bretagne en revanche, scientifiques et écologistes se sont mobilisés pour mener des comptages : 30 % des effectifs de hérissons auraient disparu en vingt ans. Pourquoi serait-ce différent dans l'Hexagone ?
Avec son association Atoupic, Anne Dupuy souhaite financer une étude télémétrique « pour évaluer la durée de vie d'animaux ayant vécu en captivité puis relâchés ». Pour cela, elle a contacté la Sfepm (Société française pour l'étude et la protection des mammifères). « Deux études seraient l'idéal : une sur les bébés d'automne et une sur les bébés d'été. » Les bébés d'automne restant plus longtemps en captivité (huit mois en moyenne contre trois mois pour ceux d'été), ils sont a priori plus dépendants des humains. « Les résultats permettraient aux centres d'adapter leurs soins. » Restent à définir le protocole et à trouver les financements… Jusqu'ici, Atoupic a pu compter sur les adhésions de ses membres, des dons, une subvention de la commune de Massay, mais surtout le soutien de fondations.
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Un certificat d'aptitude pour être soignant
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Massay - jeudi 19 novembre 2017, 14 heures
C'est l'heure de la têtée. Dans son salon, dans une caisse adaptée, sous une couverture chauffante, Anne Dupuy a installé une fratrie. Leur mère a fui lorsque le feu a pris dans le tas de feuilles qui leur servait de nid. Les petits étaient voués à une mort certaine.
Alors, quatre fois par jour, Anne Dupuy les nourrit avec une solution imitant le lait de leur mère, puis de la purée de carottes. Plus grands, dans l'infirmerie, ils mangeront des croquettes, avant de retrouver progressivement une alimentation normale dans les parcs extérieurs et dans la nature.
Mais qu'est-ce qui donne à Anne Dupuy l'envie de se mobiliser ainsi pour la petite bête à piquants ? « C'est arrivé par hasard, répond-elle dans un sourire. En 2009, un voisin m'a amené trois bébés hérissons qu'il avait trouvés. J'ai appelé des vétérinaires, aucun n'en voulait. Sur Internet, j'ai découvert « Le sanctuaire des hérissons » (***) : il donnait des conseils pour soigner, nourrir et relâcher. Le bouche-à-oreille a fait son effet, d'autres sont venus… Une amie journaliste a publié un article sur ce que je faisais. Quelques jours plus tard, l'Office national de la chasse et de la faune sauvage débarquait pour un rappel à la loi ! J'ai appris qu'il fallait un certificat de capacité. Alors, j'ai décidé de le passer. »
Elle entame les démarches en 2010. « Un agent de la préfecture m'avait lancé : « vous n'êtes pas du milieu scientifique, ce ne sera pas possible ». J'ai contacté l'Union des centres de sauvegarde de la faune sauvage : c'était totalement faux. Heureusement que j'ai été persévérante ! Un autre agent a pris le relais, tout s'est accéléré. » Après une formation de vingt heures théoriques, cinquante heures de pratique et des stages dans des centres de soins, elle obtient son certificat de « soignant animalier pour les hérissons » en 2013.
Habilitée pour vingt animaux, elle avoue qu'elle est régulièrement débordée, tout comme les autres centres de soins qu'elle connaît. « Je peux donner des conseils par téléphone aux particuliers qui les recueillent, mais normalement ils n'ont pas le droit de les prendre. Il faudrait leur dire : on est complet ! Ils répondraient : alors, qu'est-ce que j'en fais ? Ben, laissez-le crever ! » Impossible.
Dans sa voix, une pointe de colère lorsqu'elle raconte aussi des échanges incroyables avec des vétérinaires locaux qui refusent de faire quelques heures supplémentaires « pour un hérisson », malgré son statut d'espèce protégée. Un chat, un chien, un cheval ? Oui. Un hérisson ? Non.
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« Chaque matin, il faut se lever pour eux. »
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Anne Dupuy a « toujours été attirée par le monde animal ». Mais rien ne la prédestinait à sa fonction de soigneuse. « J'étais employée de bureau et d'usine, en intérim. J'avais des problèmes de santé, j'étais souvent en arrêt. En 1998, on m'a diagnostiqué une fibromyalgie (****). J'ai d'abord fait de la composition florale : ça me permettait de travailler à mon rythme et d'avoir une vie sociale. Ensuite, les hérissons sont arrivés… » Une activité passionnante mais contraignante. Chaque jour en effet, il faut être au chevet des hérissons. La vie de famille, les vacances, les sorties entre amis sont organisées en fonction. « Les enfants étaient déjà grands et mon mari m'aide, notamment pour le transport des caisses lors des lâchers. Il est sportif et militant syndical : il sait ce que signifie l'engagement ! »
Quant au repos... « Ça me permet surtout de passer outre la maladie, me dire que j'ai un but. Chaque matin, il faut se lever pour s'occuper d'eux. » Ponctuellement, lorsqu'elle s'absente, des volontaires prennent le relais. Si l'association Atoupic compte une centaine d'adhérents, ceux-ci participent peu à la vie quotidienne du centre. « Beaucoup sont loin, d'autres travaillent, d'autres comprennent l'importance de nos actions mais ne veulent pas s'engager davantage... » Les volontaires qui aimeraient l'aider au centre de soins sont donc toujours les bienvenus !
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À la recherche de lieux pour les relâcher
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Maisonnais - jeudi 19 novembre, 16 h 30
Nous voici au Prieuré Notre-Dame d'Orsan. Un monument historique dont les jardins d'inspiration monastique médiévale sont classés « remarquables ». Un véritable paradis pour les hérissons ! C'est pourquoi, chaque année, Anne Dupuy en relâche ici. Ce jour-là, nous venons récupérer les caisses. Généralement, pendant quinze jours à trois semaines, les hérissons font des allers-retours entre cette « maison » et leur nouveau domaine. « Mais c'est très variable, souligne Anne Dupuy. Certains repartent dans la nature dès le premier jour, d'autres mettent plus de temps. Les personnes qui acceptent qu'on les relâche chez elles doivent leur donner à manger jusqu'à ce qu'ils ne viennent plus. » Est-ce que certains ne se ré-acclimatent jamais ? « C'est arrivé une fois. Jorga… il était devenu anorexique. Je l'ai repris et il a encore vécu sept ans en captivité. »
Si elle ressent un pincement au coeur lors du relâchage, ce n'est pas par esprit de propriété, mais « parce qu'il y a la question de la survie ». « Quand l'endroit me paraît idéal, je suis déjà plus rassurée. » C'est quoi, un endroit idéal ? « Un jardin avec des bandes d'herbe, des prairies, où on ne traite pas chimiquement, où on ne passe pas la tondeuse sous les haies, où on invite les insectes avec certaines plantes, où il y a des abris comme des tas de bois, de feuilles et de brindilles, des composts... » Les nouveaux lieux, aussi, sont les bienvenus ! Les prochains lâchers se dérouleront au printemps.
Géographiquement, le champ d'action d'Anne Dupuy s'étend sur tout le Cher, la Nièvre, l'Yonne, le Loiret, l'Indre, l'Allier…
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Un travail éducatif indispensable
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Massay - vendredi 20 octobre 2017, 11 h 30
En quittant Anne Dupuy et ses patients, je me prends à faire l'inventaire de tous les lieux qui pourraient bientôt les accueillir. Malheureusement, je vis trop près d'une route pour eux… Mais dans mon entourage, que de jardins fabuleux !
La survie de ce petit animal dépend aussi de l'éducation à l'environnement donnée aux jeunes et aux moins jeunes. Régulièrement, Anne Dupuy intervient auprès des écoles et des centres de loisirs. « Les espèces protégées devraient figurer dans les programmes à l'école », soupire-t-elle. Mais il reste aussi fort à faire du côté des jardiniers amateurs ! La bataille menée contre le glyphosate en est un parfait exemple…
Désormais, le hérisson est entré en hibernation. Si vous en voyez un pointer le bout de son nez, ce n'est pas bon signe, surtout en plein jour. Pensez à Atoupic...
Fanny Lancelin
((*) Les autres structures de soins pour la faune sauvage accueillent plusieurs espèces : par exemple, Apus-Apuces dans le Loiret soigne des hérissons, mais aussi des écureils ou des oiseaux.
(**) Articles L. 411-1, L. 411-2, L.415-3 et L.415-4 du Code de l’environnement. L’article L. 415-3 de ce même code qui prévoit une peine pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement et 15.000 € d’amende et par l’article L415-4 qui permet la confiscation d’objets utilisés pour l’infraction : armes, véhicule, etc..
(***) Le sanctuaire des hérissons : http://lesanctuairedesherissons.eu/herisson/herisson.php
(****) Fibromyalgie : maladie touchant principalement les femmes, d'origine souvent inconnue, se traduisant par des douleurs musculaires et une fatigue persistante.
Contact
- Association Atoupic : 02.48.51.90.98. et Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.