« Réunie par l'indignation et portée par la volonté de dénoncer des réalités révoltantes » (1), c'est une équipe bénévole qui a permis que le film « Regarde ailleurs » sorte en salle. Il raconte les mois qui ont suivi le démantèlement de « la jungle » de Calais.
Le 24 octobre 2016, une opération inédite débute en France : le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, a ordonné l'expulsion des 6.400 migrants vivant dans ce qu'on surnomme « la jungle » de Calais, sorte de bidonville dans lequel vivent des hommes, des mineurs isolés, des familles… Ils viennent d'Afghanistan, d'Irak, d'Erythrée… Ils rêvent de traverser la Manche pour rejoindre l'Angleterre.
Pour mener à bien cette opération, environ 3.350 policiers ont été mobilisés. Triés puis enregistrés, les migrants doivent être répartis dans 280 lieux en France. Certains, qui ont déjà fait l'objet d'Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF), seront placés en rétention administrative en attendant leur expulsion du pays (2).
C'est à ce moment-là qu'Arthur Levivier arrive à Calais : vidéaste membre du collectif « Activideo », il filme le démantèlement. C'est la première fois qu'il rencontre des personnes en exil. C'est le choc. « Immédiatement, je suis sidéré par la tournure des évènements, écrit-il. Ce que le gouvernement décrit comme une « opération humanitaire » est en fait une violente expulsion. » Il reste une semaine mais la tension sur place ne lui permet pas de rapporter des images suffisamment intéressantes.
De retour à Paris, il décide de bien se préparer et, en juin puis en août 2017, revient à Calais. « La jungle » n'a pas totalement disparu ; elle a explosé en dizaines de camps, éphémères, qui poussent comme des champignons dans la forêt. Mais ce qu'Arthur Levivier arrive particulièrement à saisir – grâce à un système de caméras cachées notamment – c'est le harcèlement et la violence des policiers envers les migrants, les traquant jusque dans leur sommeil, aspergeant leurs yeux de gaz lacrymogène, détruisant leurs tentes, jetant leurs effets personnels, empêchant les bénévoles de leur distribuer des repas… Malgré tout, les migrants sont toujours là. Epuisés, transis de froid et d'espérance, le regard tourné vers les côtes anglaises.
Ce film porte une double tragédie : celle de ces êtres humains forcés à l'exil et celle des habitants de Calais et de la France entière qui « regardent ailleurs ». Parce qu'ils rejètent l'autre ou se sentent démunis face à ses souffrances. Mais ce film a aussi en lui beaucoup de force : celle de tous ceux qui ne peuvent s'avouer vaincus face à l'inhumanité, migrants et militants qui aspirent à un monde plus juste et plus solidaire.
Arthur Levivier n'aurait pu réaliser ce projet seul : Angie Mathieu, sa co-équipière de terrain, a été ses yeux derrière son dos, lorsqu'il filmait des zones non autorisées. D'autres compagnon·nes – journalistes ayant la carte de presse par exemple – l'ont parfois relayé pour obtenir des images essentielles. Des migrants et des militants l'ont accueilli, conseillé, encouragé. Des traducteur·ices ont accepté de travailler gratuitement sur le film pour le rendre accessible en anglais, en arabe et en italien.
D'abord diffusé sur Internet puis sorti en salle, le film peut toujours être projeté, à la demande. Pour les écoles, Arthur Levivier propose d'accompagner la projection d'actions « pour sensibiliser les jeunes sur l’accueil des exilés et l’importance du sens critique sur le traitement de l’information ».
Tous les contacts sont sur le site Internet du film : https://filmregardeailleurs.com/page-daccueil/
(1) https://filmregardeailleurs.com/team/
(2) https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2016/10/21/jungle-de-calais-le-gouvernement-detaille-l-operation-de-demantelement-qui-debutera-lundi_5018279_1653578.html